L’honneur retrouvé de Rabah Saadane

Voué aux gémonies, au lendemain de la débâcle au Mondial mexicain de 1986, l’entraîneur des Fennecs est aujourd’hui un héros national.

Rabah Saadane porté en triomphe après la victoire face à l’Egypte © EPA

Rabah Saadane porté en triomphe après la victoire face à l’Egypte © EPA

FARID-ALILAT_2024

Publié le 22 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Centre d’entraînement de Coverciano, à Florence (Italie), mardi 10 novembre 2009. Rabah Saadane réunit ses joueurs pour une ultime causerie. Dans quatre jours, l’Algérie affronte l’Égypte au Caire pour un match de qualification décisif au Mondial de 2010. Voix pesée, ton solennel, l’entraîneur n’en est pas moins direct : « À 63 ans, je ne risque pas de supporter une désillusion. Je suis à la fin de ma carrière et je souhaite quitter le football d’une façon honorable. Arrangez-vous pour que je ne sorte pas par la petite porte et gagnez ce match, car vous en avez les moyens. » Huit jours après cette recommandation, l’Algérie se qualifie ­brillamment à Khartoum à l’issue d’un match d’appui dantesque. Saadane dirigera les Verts en Afrique du Sud, vingt-quatre ans après avoir emmené leurs aînés au Mondial mexicain de 1986. En Angola, lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN), il parvient à conduire ses protégés en demi-finale. Malgré une défaite cuisante face à l’Égypte (0-4), Saadane et ses joueurs sont accueillis triomphalement à Alger. Une sacrée revanche pour ce mal-aimé du football algérien.

Si Rabah Saadane était un animal, il serait un chat aux neuf vies. Entraîneur, il a connu la consécration et le déshonneur, puis l’exil et la rédemption. « Lorsque les dirigeants l’ont rappelé, en octobre 2007, personne n’aurait misé 1 dinar sur son succès, explique Samir Lamari, chef de la rubrique sport au quotidien Liberté. Lui-même a hésité avant d’accepter la mission. Au final, il a rempli son contrat. » Réhabilité, il est aujourd’hui un héros national.

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Le foot d’abord

Rabah Saadane et le foot, c’est une histoire qui commence très tôt, à Batna, où il voit le jour dans une modeste maison jouxtant le stade Sefouhi. Quand il n’est pas sur le banc de l’école, Rabah s’y rend pour taper dans le ballon. Et devient un mordu. Si bien qu’en 1966, le bac en poche, il refuse une bourse pour une formation de pilote aux États-Unis. Le football plutôt que les études. Défenseur, il jouera à Batna, à Constantine, à El-Biar et au Stade rennais (France). Promis à un bel avenir, il est hélas contraint de mettre prématurément un terme à sa carrière à cause d’un grave accident de voiture. Mais pas question de quitter le foot : Rabah sera entraîneur.

Diplômé du Centre national des sports d’Alger, il enregistre son premier fait d’armes en 1979 en qualifiant l’équipe nationale junior pour le Mondial japonais. La performance est suffisamment éloquente pour que les instances du football décident de l’associer au tandem constitué de Mahieddine Khalef et du Russe Guennadi Rogov à la tête de la sélection nationale. Objectif : le Mondial espagnol de 1982. Pari réussi. En Espagne, l’Algérie crée la sensation en battant l’Allemagne fédérale (2-1), le Chili (3-2), mais s’incline devant l’Autriche (2-0). Hélas les Fennecs sont éliminés dès le premier tour, à la différence de buts, victimes d’une combine entre Allemands et Autrichiens dont la confrontation se solde par une victoire de la RFA (1-0) qui qualifie les deux équipes germaniques. Bien sûr, l’expédition en terres espagnoles est désormais une légende, mais, derrière elle, l’histoire retient davantage le nom de Khalef, rarement celui de Saadane. Une injustice. Rancunier, Saadane ? Il en faut plus pour ébranler cet homme affable, réservé, taciturne, à la limite de l’effacement.

La roue tourne en 1986. Cette fois, Saadane est seul aux commandes. Pour sa deuxième qualification de suite pour le Mondial, le pays attend un miracle. Mais l’expédition mexicaine tourne au fiasco. Deux défaites, face au Brésil (1-0) et à l’Espagne (3-0), un nul contre l’Irlande (1-1). Les Verts plient bagage et rentrent au bercail. La débâcle était prévisible. Une préparation bâclée, un sélectionneur qui se fait dicter la composition de son équipe par de hauts responsables de l’État, des joueurs locaux et professionnels qui s’adressent à peine la parole sur le terrain et dans les vestiaires – et dont certains font la bringue dans les boîtes de nuit jusqu’au petit matin –, tous les ingrédients de l’échec étaient réunis. Forcément, l’élimination provoque une immense désillusion dans le pays. Le coupable idéal ? « Saadane l’altitude », comme on l’avait surnommé. À son retour au pays, c’est le lynchage public. « Incompétent », « faiblard », « coach de seconde zone », tranchent les journalistes locaux. L’opinion n’est pas plus clémente. La maison familiale de Saadane échappe de peu à un incendie. Son fils est giflé par son professeur, qui lui assène : « C’est ton père qui a fait perdre l’équipe nationale ! » Il reçoit aussi des menaces de mort. « Le traumatisme subi par ma femme et mes enfants en 1986 est encore vivace », confie-t-il, vingt-trois ans après les faits.

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Trois coupes du monde

Mal aimé chez lui, Saadane n’en est pas moins convoité à l’étranger. Au Yémen, en Arabie saoudite, en Tunisie ou au Maroc, où il dirige le Raja Casablanca, son talent est reconnu. Trois ans après sa mésaventure mexicaine, le voilà sacré champion du Maroc et vainqueur de la Coupe d’Afrique des clubs champions. S’il s’épanouit loin de son pays, il ne sait en revanche pas dire non quand celui-ci le rappelle. Retour donc sur le banc des Verts avec pour mission de les emmener à la CAN tunisienne de 2004. Les Fennecs développent un jeu de qualité, mais quittent la compétition au stade des quarts de finale. Nouvelle déception, énième départ de Saadane…

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Octobre 2007, le Français Jean-Michel Cavalli est limogé après l’élimination des Fennecs de la CAN de 2008. L’échec plombe le moral des Algériens et laisse leurs dirigeants perplexes. Les Verts sont-ils condamnés à rater les grands rendez-vous internationaux ? Jusqu’à quand la poisse poursuivra-t-elle la sélection ? Quel est l’homme providentiel qui rendrait au football algérien son lustre d’antan ? Les meilleures soupes étant préparées dans de vieilles marmites, on remet le destin national entre les mains du « cheikh » (« vieux », « sage »). La suite ? L’Algérie a fait un parcours très honorable en Angola et s’apprête à disputer son troisième Mondial. En Afrique du Sud, Rabah Saadane sera l’un des rares entraîneurs à avoir participé à trois phases finales du Mondial. Un exploit qui en préfigure d’autres… sur le terrain?

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