Mezouar fait sa mue

Ex-homme d’affaires et technicien chevronné, le ministre de l’Économie et des Finances s’est métamorphosé en chef de parti. Et semble désormais nourrir des ambitions politiques.

Salaheddine Mezouar © MAP

Salaheddine Mezouar © MAP

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Publié le 23 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Lors des 9es assises du ­tourisme, à Saïdia, en juin 2009, cinq membres du gouvernement sont venus s’asseoir à la tribune pour débattre des défis du Maroc. Parmi eux, Salaheddine Mezouar, ministre de l’Économie et des Finances. Dépassant d’une tête la plupart de ses collègues, il est le seul à ne pas porter de veste. « C’est la première fois que j’interviewe un ministre aussi décontracté », s’étonne le modérateur.

Né en 1953, Mezouar a gardé son physique de capitaine de l’équipe nationale de basket. Athlétique, portant beau, le grand argentier du royaume est le prototype même d’une nouvelle génération de dirigeants marocains. « Il est dynamique, facilement accessible. C’est un technocrate entré au gouvernement pour ses compétences techniques, pas pour son appartenance politique », commente un observateur. Ex-patron de la société textile Settavex, président de la très influente Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith), il a fait une brillante carrière dans le privé.

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Membre de la « dream team »

Mezouar rejoint le gouvernement en juin 2004 en tant que ministre de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l’économie. Repéré par le Premier ministre Driss Jettou, il n’a aucun mal à s’intégrer dans le gouvernement de jeunes technocrates que la presse surnomme alors la « dream team ». À l’époque, il passe pour être tout sauf un politique. « Mais il fallait lui trouver un parti, pour la forme. Il est donc entré au Rassemblement national des indépendants [RNI], un “parti label” constitué essentiellement de notables et de technocrates », rappelle un journaliste. En octobre 2007, Mezouar hérite du portefeuille très sensible de l’Économie et des Finances. « Tout le monde pensait alors que ce costume serait trop grand pour lui », ajoute notre analyste. Pourtant, deux ans après, force est de constater que Mezouar est plutôt à créditer d’un bon bilan. Il a certes beaucoup bénéficié de l’héritage de son prédécesseur, ­Fathallah Oualalou, qui lui a laissé une situation saine : un déficit inférieur à 2 % du PIB, des recettes fiscales en progression et un endettement stabilisé autour de 55 % du PIB. Mais il a aussi su apporter sa ­touche personnelle. « Il a rapidement compris les rouages pourtant complexes de ce ministère et a constitué une équipe solide de techniciens », confie un de ses plus proches collaborateurs. Le ministre a également su faire face à la crise économique et éviter la ­catastrophe. Volontariste, il a pris des mesures de soutien et a convaincu les principaux acteurs de l’économie marocaine de le suivre. « Sa principale qualité, c’est d’être fédérateur. C’est quelqu’un qui accepte le débat et qui ne reste jamais figé sur ses positions », ajoute son collaborateur.

Si Mezouar ne prête guère le flanc à la critique tant qu’il reste dans son rôle de technocrate, il fait moins l’unanimité depuis qu’il a choisi d’endosser un rôle plus politique. Lors du conseil national du RNI, le 24 janvier, au terme d’une véritable fronde contre son chef, Mustapha Mansouri, Mezouar est élu président du parti avec 610 voix sur 620. Cette bataille, Mezouar la mène depuis plus de six mois. À la tête du « mouvement des réformateurs », il reproche à Mansouri de ne pas avoir su restructurer le parti et de déroger aux règles élémentaires de démocratie interne. Mais, surtout, il s’insurge contre l’absence d’orientation politique lors des communales, ce qui a laissé toute latitude aux candidats du RNI pour former des alliances et gagner des sièges dans les conseils municipaux. « Cela a été une mauvaise approche. Comment peut-on faire des alliances avec des partis dont le projet et les principes sont diamétralement opposés à ceux du RNI ? » s’interroge-t-il, faisant clairement allusion au Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste).

Clin d’œil au PAM

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À l’époque déjà, personne n’est dupe sur les intentions de Mezouar, au-dessus de qui plane l’ombre du Parti Authenticité et Modernité (PAM), créé par Fouad Ali El Himma. Membre du Mouvement de tous les démocrates, antichambre du PAM, Mezouar n’a jamais caché sa proximité avec les idées du nouveau parti. Dès lors, son objectif est clair : faire du RNI un parti « associé » à l’intérieur d’un grand pôle progressiste et libéral dont le PAM et les socialistes de l’USFP seraient les deux piliers. En misant sur le bon cheval, le patron du RNI pourrait ainsi assurer quelques sièges à ses candidats lors des législatives de 2012.

Mais l’avenir du parti dépend sans doute beaucoup moins de lui qu’il ne le laisse entendre. Suivant le conseil avisé de Jean Cocteau – « lorsqu’une situation nous dépasse, feignons de l’avoir organisée » –, Mezouar argumente ses choix et se pose en leader. Lors de la présentation de sa feuille de route, il appelle à la constitution d’alliances fondées sur des références idéologiques communes, désignant nommément l’USFP et le PAM. « Un parti ne peut pas fonctionner s’il ne prend pas de positions claires, estime-t-il. C’est là une marque de respect envers les citoyens. »

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À l’USFP, on comprend mal cette précipitation. Si les socialistes répètent que « tout est possible et qu’il ne faut pas insulter l’avenir », beaucoup considèrent que Mezouar a fait preuve de maladresse et d’un manque de sens politique. « Ce n’est pas le moment d’entamer un débat sur les alliances. Il doit survenir après les élections. C’est là qu’on voit que le politique a reculé dans ce pays et que la technocratie a ses limites. Ne s’improvise pas politique qui veut », ironise un haut cadre du parti.

De fait, chez certains nostalgiques, Mezouar est loin de faire l’unanimité. On lui reproche son manque d’assise politique et sa tendance à abuser du marketing. Épaulé par deux agences de communication, dont celle de la très en vue Leïla Ouachi (ancienne conseillère de Driss Jettou et d’Abbas El Fassi), Mezouar a lancé une campagne média­tique de grande envergure avant le conseil national du RNI. Plusieurs rédactions auraient d’ailleurs reçu un document expliquant par le menu la stratégie de communication des réformateurs.

Mais ses talents de communicateur lui suffiront-ils pour atteindre les ambitieux objectifs qu’il s’est fixés pour son parti ? Prônant la rupture avec le passé, Mezouar veut débarrasser le RNI de l’image d’un parti de l’administration et de notables. Soucieux d’élargir sa base, il entend attirer des jeunes et fédérer plus de 200 000 militants d’ici à la fin de 2010 en lançant dans tout le royaume des universités du RNI.

« Nul ne sait s’il y parviendra. En tout cas, on a vraiment l’impression que Mezouar a opéré une mue. Lors d’une réunion avec les membres de son parti, il est apparu en leader charismatique. Tout le monde était suspendu à ses lèvres », raconte un observateur. À son actif, il a réussi à réunir autour de lui ­Mohamed Aujjar, Abdelaziz Alaoui ­Hafidi, mais aussi l’ancien ministre du Tourisme Mohamed Boussaïd, le ­ministre de l’Agriculture Aziz ­Akhannouch et la ministre de l’Énergie Amina ­Benkhadra. Aujourd’hui, son plus grand défi est de conduire le RNI aux législatives. Pour le moment, il jouit d’une grande popularité au sein du parti, mais il va devoir se confronter au casse-tête des ­candidatures.

Au Maroc, l’exercice de la politique est en train de changer, et Mezouar, tout technocrate et pragmatique qu’il est, veut incarner ce changement. Peut-être se prendra-t-il au jeu de la ­politique. Beaucoup n’hésitent d’ailleurs plus à lui prédire un destin à la Jettou. Et de le voir, comme son mentor, lui-même homme d’affaires, accéder à la ­primature. 

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