Les députés, ces « enfants gâtés » de la République
Textes de loi mal préparés, absentéisme, soupçons de corruption… Les députés ont mauvaise presse. Ils exigent pourtant une hausse de leurs indemnités et ont tenté de bloquer l’adoption du budget. Privilégiés ou incompris ?
Les sénateurs congolais ont dû reprendre le texte de loi sur la commission électorale, transmis par les députés. Encore une fois, au Sénat, beaucoup estiment que l’Assemblée nationale a bâclé le travail. Manquant de sérieux, un peu cossards et parfois corrompus, les élus de la chambre basse sont sous le feu des critiques. Pourtant, avec l’équivalent de 4 250 dollars par mois (payés en francs congolais), auxquels s’ajoutent, pour certains membres de commissions, 1 700 dollars de primes « pour le carburant et le téléphone », les députés congolais comptent parmi les privilégiés de la République. Il est, en revanche, de bon ton de ne pas le crier sur les toits. Les élus estiment en effet qu’en parler c’est leur nuire. Et ils reprochent au gouvernement d’en faire étalage afin de « les discréditer auprès de l’opinion publique ». Ministres qui, il est vrai, ne touchent « que » 2 700 dollars, plus 900 dollars d’allocation logement et 1 100 de frais de fonctionnement.
Pouvoir d’achat
« Le gouvernement veut nous diaboliser, affirme un député indépendant proche de la majorité. On ne peut pas tout déballer sur la place publique. Le Premier ministre doit trouver le temps de discuter avec les députés de sa majorité. » Gilbert Kiakwama kia Kiziki, de la Convention des démocrates chrétiens (CDC, opposition), ne cache pas non plus son indignation : « Nous ne roulons pas sur l’or. Si l’on regarde bien les choses, les deux tiers des ministres devraient être en prison. Il n’y a qu’à voir les maisons qu’ils ont construites. Rien à voir avec leurs salaires ! » Un membre du gouvernement rétorque sur un ton ironique : « Nos députés sont des enfants gâtés. »
Ce jugement est partagé par beaucoup de Congolais qui ne comprennent pas pourquoi, alors que la plupart d’entre eux tirent le diable par la queue, les « honorables » se battent pour une augmentation de leurs indemnités. Jean Bamanisa, étiqueté indépendant mais proche de la majorité, explique que les salaires ont été fixés en 2007, à l’époque où un dollar valait 500 francs congolais, contre 900 francs aujourd’hui. « Nous avons perdu presque la moitié de notre pouvoir d’achat », assure-t-il.
Chaque mois, les députés déduisent de leurs indemnités environ 1 400 dollars pour rembourser les traites de leur véhicule. Certains en ont pris deux… « Comme vous le constatez, il ne nous reste plus rien pour subvenir à nos besoins ou pour répondre aux sollicitations de nos électeurs », assure Bamanisa, un trémolo dans la voix.
Recours au système D
Les indemnités, selon un ministre qui a requis l’anonymat, ne sont que la partie visible des revenus des députés. Le reste est constitué par un fonds spécial d’intervention qui comble leur manque à gagner. Ce que réfutent les membres de l’Assemblée nationale. Selon eux, le fonds spécial d’intervention n’est pas un complément du salaire, mais plutôt une caisse destinée à la résolution de problèmes d’ordre personnel ou humanitaire que rencontrent les élus. La différence est subtile.
Le gouvernement leur reproche aussi de refuser de payer l’impôt sur le revenu. « La question n’est pas de payer ou de ne pas payer, se défend François Muamba Tshishimbi, du Mouvement de libération du Congo (MLC, opposition). Ce que nous n’acceptons pas, c’est la décision du gouvernement de nous imposer sur les 4 250 dollars alors que cette somme comprend les indemnités de transport et de logement. »
Pour joindre les deux bouts, les élus auraient donc, pour beaucoup, recours au système D. « Ce qui est choquant, c’est le fait que les députés – qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition – exigent d’être payés avant d’adopter une loi. Cette vénalité est inadmissible », s’indigne un proche collaborateur du président Joseph Kabila. Un député de la majorité reconnaît que « l’argent circule toujours dans l’hémicycle lorsqu’il y a de gros enjeux ». Comme en mars 2009, au moment de l’affaire Kamerhe – le président de l’Assemblée poussé à la démission – et, ensuite, à l’occasion de l’élection de son successeur, Évariste Boshab Mabudj.
À chaque session parlementaire, l’Assemblée nationale se transforme en théâtre : des députés de l’opposition montent au créneau pour lire des motions de défiance contre des ministres rédigées parfois par leurs collègues de la… majorité ! « C’est vrai, hélas », soupire Muamba Tshishimbi. Le but est de faire peur aux membres du gouvernement avant d’aller leur proposer le retrait de la motion contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Engranger par tous les moyens
Même si les sommes restent dérisoires, explique un habitué des coulisses de l’Assemblée, « cela marche à tous les coups ». Et les plus heureux dans l’affaire sont les indépendants, car ils ne sont pas tenus à une discipline de parti.
Mais comment en est-on arrivé là ? Certains analystes, un peu sévères, moquent ces élus qui n’ont que « trois références : la fréquentation des bars, la grande gueule et le fait d’être chantés par les musiciens ». D’autres, plus sérieusement, notent que beaucoup de députés n’ont pas d’autre métier, ni de patrimoine personnel, et cherchent à engranger de l’argent par tous les moyens. Muamba Tshishimbi a une autre perception du phénomène : « La faute incombe à la majorité. Nous avions voté une loi sur le financement des partis qui permet à l’opposition, à partir d’un certain nombre de députés, d’accéder à la cagnotte afin d’éviter de telles situations. Mais son application a été reportée à la prochaine législature ! » Malgré tout ce qu’on lui reproche, l’Assemblée nationale congolaise reste un « espace pour une vraie expression démocratique », estime Kiakwama kia Kiziki, qui ajoute : « Tous les pays voisins nous envient pour cela. »
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