Combat de nègres
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 15 février 2010 Lecture : 2 minutes.
C’est un film français comme les Français savent en faire : solide, historique, intelligent, impeccablement réalisé et porté par la performance de deux acteurs hors normes, le monumental Depardieu et l’acide Poelvoorde. Sur les écrans hexagonaux depuis le 10 février, L’Autre Dumas raconte l’histoire d’Auguste Maquet, le « nègre littéraire » d’Alexandre Dumas, qui est sans doute, avec Victor Hugo, le romancier français le plus célèbre au monde, des bidonvilles de Bombay (cf. Slumdog Millionaire) aux maquis vietnamiens d’Ho Chi Minh, lequel avait fait des Trois Mousquetaires, dont il était un fan absolu, l’un de ses livres de chevet.
Seulement voilà : Depardieu, qui joue Dumas, est blanc, natif de Châteauroux dans l’Indre, cent pour cent gaulois, alors que son personnage était un mulâtre quarteron, fils d’un général métis et petit-fils d’une esclave noire de Saint-Domingue. Cette hérédité, Dumas la porta toute sa vie comme une croix dans la France lourdement raciste du XIXe siècle, au point de répondre un jour, à l’un de ses admirateurs qui lui demandait s’il s’y connaissait en nègreries : « Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière-grand-père était un singe. Vous voyez, monsieur : ma famille commence où la vôtre finit. » Superbe. Raillé par les caricaturistes de l’époque pour son teint bistre, ses cheveux crépus et son accent créole, Alexandre Dumas n’avait donc de Depardieu que la corpulence – et le talent.
Faut-il pour autant, avec les essayistes Claude Ribbe et Serge Bilé, grands débusqueurs des incorrections politiques à connotations raciales, asséner que le réalisateur de L’Autre Dumas s’inscrit dans « une veine négationniste » ? Ce dernier, Safy Nebbou, étant lui-même un sang-mêlé, né de père algérien, ce procès ad hominem a quelque chose d’excessif et de rédhibitoire. Le problème n’est pas tant que Dumas, auteur universel, soit incarné par un acteur au teint clair – mais au génie à sa démesure. Le problème est que ce blanchiment ait conduit le film à occulter un aspect essentiel de sa vie, donc de ce qui fonde son personnage. Certes, on me dira qu’il n’existe pas en France d’équivalent bankable d’un Forest Whitaker, d’un Morgan Freeman ou d’un Denzel Washington, capable de supporter le poids d’un tel rôle. Peut-être. Mais sans demande commerciale, pas de grands acteurs. Cercle vicieux. En attendant, le pays dit des droits de l’homme continue d’avoir la mémoire qui flanche.
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