Haïti : catastrophe et droit au retour
Ancien fonctionnaire international, Dakar, Sénégal
Il s’est passé quelque chose de dramatiquement important à Haïti : la destruction massive de vies humaines. L’instabilité géologique de la moitié occidentale de l’ancienne Hispaniola expose ses habitants à une insécurité permanente. Il leur faudra se réinstaller sur un site géologique stable, plutôt que de rebâtir à l’identique ce qui a été détruit. Les lois de la géophysique sont telles que ce qui s’est produit se reproduira. Pour le moment, la solidarité internationale s’exprime massivement, même si elle n’est pas exempte d’arrière-pensées. L’essentiel du pays est à reconstruire. Et l’Afrique dans tout cela ? Va-t-elle continuer à donner cette gênante impression de manifester un faible intérêt pour le sort tragique de cette partie caribéenne d’elle-même ?
Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a proposé, le 15 janvier, l’accueil d’Haïtiens en Afrique. Il a exprimé le souci d’une préservation pérenne de la vie humaine et un devoir de solidarité. À la banalité ambiante, le panafricaniste a préféré cadrer l’événement dans une dimension historique, en perspective d’avenir. Pour le moment, de modestes contributions financières bilatérales sont annoncées. Mais seule l’Afrique du Sud est présente physiquement sur le terrain. L’intervention du continent pourrait s’envisager sur deux plans non exclusifs. D’abord, celle sur le terrain. Elle nécessite la création d’un corps de « volontaires africains pour Haïti », en cadre opérationnel ; la création d’un fonds africain spécial d’assistance à Haïti alimenté par des contributions volontaires ; des actions en faveur de l’enseignement, de la formation et de la santé et d’autres domaines en cas de besoin ; la réactivation et la restructuration de l’institution humanitaire L’Afrique aide l’Afrique en organe exécutif. Ensuite, l’accueil au retour, une proposition concrète d’Abdoulaye Wade.
Haïti est porteuse de symboles de libération : l’abolition de l’esclavage et l’indépendance nationale. En 1803, l’armée de Bonaparte a connu sa première défaite sur cette terre où fut proclamée, l’année suivante, la première République noire de l’histoire par le Kongolais Jean-Jacques Dessalines, lieutenant de Toussaint-Louverture (capturé et mort prisonnier en France). Ce choix de la liberté valut au pays une « punition ». Comme un siècle et demi plus tard la Guinée de Sékou Touré, première République noire d’Afrique francophone, coupable d’avoir cru à la sincérité de l’offre référendaire d’indépendance en 1958. Le développement de ces deux États sera handicapé par un embargo inducteur de dictatures. Haïti a, en plus, été frappé de la « rançon de Charles X » (somme exigée par Charles X pour le prix de son indépendance), estimée à 22 milliards de dollars en 2004.
Haïti a aidé Simón Bolívar, qui s’y était exilé entre 1812 et 1817, à entreprendre la libération des colonies espagnoles d’Amérique. Cette contribution de l’île à la liberté de l’homme et des peuples est un motif de fierté pour l’Afrique, qui doit lui exprimer une solidarité active. Cette solidarité est dans la proposition d’Abdoulaye Wade : une disponibilité ouverte d’accueillir et de réintégrer des membres de la diaspora africaine historique. Ce n’est ni de l’utopie ni de la naïveté. Les Haïtiens restent maîtres du choix. L’idée va de pair avec le devoir de cœur et avec la dignité des Africains. Mais certaines réactions, au Sénégal, font de la résolution de tous les problèmes locaux un préalable à l’accueil. Un tel égoïsme est contraire à la tradition africaine de solidarité. À partir du XVIIIe siècle, le droit au retour a été exercé du Brésil et de Cuba vers le Dahomey et le Togo, de Grande-Bretagne vers la Sierra Leone et des États-Unis vers le Liberia… Voilà un intéressant sujet d’analyse et un exercice de solidarité entre Africains dans une stratégie concertée. C’est aussi un défi à la capacité à s’extirper du statut insidieusement installé de « pauvreté » d’un continent qui enrichit le monde.
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