L’Algérie tacle l’Egypte pour sauver sa balance commerciale

La suppression, en janvier 2009, des droits de douane sur les produits issus des pays de la Ligue arabe est une potion amère pour Alger et ses entreprises, peu préparées à la concurrence. La contre-offensive est lancée. Première victime : Le Caire.

Publié le 15 février 2010 Lecture : 4 minutes.

Difficile de faire pire. La première année d’adhésion de l’Algérie à la Zone arabe de libre-échange (Zale) a viré au cauchemar. « Ce n’est pas étonnant ; les Algériens ont l’air surpris, mais, lorsque l’on ouvre ses ­frontières pour des raisons politiques sans préparer ses entreprises à la libéralisation des échanges, on en subit forcément le choc », lance Camille Sari, consultant international.

De fait, les importations algériennes en provenance de la Zale ont explosé de 46,6 % en 2009, pour atteindre 1,6 milliard de dollars, selon les chiffres du Centre national de l’informatique et des statistiques (Cnis), dépendant des douanes algériennes. À l’inverse, sur la même période, les exportations ont chuté à 124,7 millions (– 49,44 %).

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L’addition aurait pu être encore plus salée. Officiellement entrée en vigueur au 1er janvier 2009, l’adhésion de l’Algérie « n’est survenue en ­pratique qu’à partir du 1er avril », précise Hocine Houri, le directeur du Cnis. Premières victimes : les exportations algériennes de produits industriels vers les voisins arabes : 102,8 millions de dollars, soit une baisse de 53,7 % ! Viennent ensuite les exportations de produits alimentaires, qui ont reculé de 10,7 %, à 21,9 millions de dollars. « Les industries des pays arabes, notamment manufacturières, ne sont pas complémentaires mais similaires. Donc les entreprises les moins bien préparées à la concurrence ont trinqué », avance Nasri Ali Bey, consultant algérien en commerce international.

Les chefs d’entreprise avaient pourtant donné l’alerte dès le 14 décembre 2008, quand le ministre des Finances algérien, Karim Djoudi, avait annoncé aux députés l’adhésion surprise de l’Algérie à la Zale. Tout en réclamant un sursis de deux ans, ils dénonçaient par la voie de Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE, l’organisation patronale algérienne), le manque de concertation des pouvoirs publics et le « cadeau » fait au lobby des importateurs.

Un an de lobbying patronal

Manifestement, les faits ont donné raison aux chefs d’entreprise. La bombe à retardement de la suppression des droits de douane a explosé et causé de gros dégâts. Entre-temps, toutefois, les patrons ont réussi à se faire entendre après une année d’intense lobbying. « Nous sommes d’accord pour adhérer à la Zale, mais pas n’importe comment. Si des acteurs doivent venir nous concurrencer, il faut que nous soyons soumis aux mêmes règles de concurrence », explique Slim Othmani, le patron du fabricant de jus de fruits algérien NCA.

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En novembre dernier, sous l’égide de la Chambre algérienne de ­commerce et d’industrie (Caci), un « comité de suivi de mise en œuvre des accords de libre-échange » a réuni des représentants des ministères concernés et des sept organisations patronales. L’objectif : établir un cordon sanitaire autour des produits fragilisés par l’ouverture des frontières. Autorisé par la convention instaurant la Zale, ce dispositif permet à titre provisoire de restaurer des droits de douane pour protéger des filières en difficulté.

Sur un total de 6 000 produits algériens soumis à la concurrence des pays arabes depuis un an, le comité a établi une liste de 1 141 produits finis (pâtes, huile, sucre, boissons, tomates, biscuiterie, peinture, textile, matériaux de construction, produits agricoles, mécanique, électroménager…) qui, depuis le 1er janvier 2010 et pour les quatre ans à venir, sont de nouveau bardés d’un droit de douane. Et les autorités n’ont pas fait les choses à moitié. Près de 80 % des 1 141 produits sont protégés par un droit d’entrée de 30 % ! « Si nous n’avions rien fait, des secteurs entiers se seraient effondrés, menaçant l’existence d’environ 400 000 emplois en Algérie », estime Nasri Ali Bey.

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Hasard ? L’Égypte est la première victime de la contre-offensive algérienne… « C’est le pays qui a le plus bénéficié de l’ouverture du marché algérien. En un an, il a multiplié par quatre ses exportations », assure Nasri Ali Bey. Avec une facture de 550,6 millions de dollars en 2009, il est le premier exportateur arabe vers l’Algérie, où il représente 34,3 % des produits issus de la Zale, distançant de loin la Tunisie (347,5 millions de dollars, soit 21,6 % des importations ­algériennes provenant de la Zale) ou le Maroc (121,8 millions, soit 7,6 %), lui-même devancé par l’Arabie saoudite et la Jordanie.

Produits fabriqués en Chine et faussement labellisés d’un made in Arabia, exportations à partir de zones ­franches…, les dirigeants ­d’entreprises et les autorités algériennes égrènent ce qu’ils considèrent comme des ­pratiques déloyales employées par leurs concurrents ­arabes. « Nous ­sommes dans une économie mondialisée, et de nombreuses firmes implantées dans les pays arabes sont des ­multinationales. Comment peut-on imaginer qu’il existe autant de produits 100 % arabes, alors que les entreprises de ces pays sont d’abord des sous-traitants de groupes internationaux », relève ­Abderrahmane Mebtoul, économiste algérien. Et de poursuivre : « Le commerce entre pays arabes n’existe pas, il représente à peine 6 % de leurs échanges. Et puis, si toutes les économies de ces pays ouvraient totalement leurs portes à nos produits, que leur exporterions-nous, à part du pétrole et du gaz ? De même, si nos importations ne provenaient pas d’Égypte, elles viendraient forcément d’ailleurs. »

L’Excédent commercial a fondu de 45 %

C’est ce que montrent les derniers chiffres du commerce extérieur, publiés le 22 janvier dernier par les douanes algériennes. Les importations ont atteint 39,1 milliards de dollars en 2009, en recul de 0,95 % par rapport à 2008 ! Autant dire que toutes les mesures prises par les autorités algériennes en 2009 pour freiner la facture des importations (crédit documentaire, etc.) ont échoué. Or dans le même temps, les exportations, victimes de la chute du prix du baril, ont dégringolé à 43,7 milliards de dollars (– 45 %). Au plus bas depuis dix ans, l’excédent de la balance commerciale a fondu comme neige au soleil : 40 milliards de dollars en 2008, 4,6 milliards en 2009… « C’est le problème d’un pays mono-exportateur. Le mal est en nous. Que fait-on pour passer d’une économie de rente à une économie productive ? » lance Abderrahmane Mebtoul. Le débat reste entier. 

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