La reine Martine

Après des débuts difficiles, la première secrétaire du Parti socialiste s’impose peu à peu. Avec Dominique Strauss-Kahn, elle apparaît désormais comme le plus dangereux adversaire de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2012.

Martine Aubry, le 3 février 2009. © AFP

Martine Aubry, le 3 février 2009. © AFP

Publié le 9 février 2010 Lecture : 7 minutes.

En cinq républiques, on aura tout entendu sur les partis, sauf qu’ils pouvaient « frétiller ». C’est à ce signe pourtant que Martine Aubry croit pouvoir annoncer le renouveau du PS. Et le juge de bon augure pour cet « an I de la reconquête du pouvoir » dont le slogan géant flotte sur la façade de la Rue de Solférino. Probablement l’a-t-il aussi décidé à se déclarer plus tôt que prévu dans la course à l’Élysée, si les primaires de 2011 la choisissent. La mêlée ­ouverte à laquelle vient de s’ajouter François Hollande sera rude. À la mi-octobre, Martine Aubry se demandait encore qui pourrait le mieux défendre l’alternative à gauche : « Je me poserai la question le moment venu ; c’est beaucoup trop tôt. » En fait, sans être une obsédée de la magique échéance, elle n’a jamais cessé de s’y préparer. De même assurait-elle qu’elle n’était pas « programmée » pour le poste de premier secrétaire. Avant de tout faire pour l’obtenir.

 Champ de ruines

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« Frétiller », c’est un mot de ­gourmande qui avoue volontiers son penchant pour la cuisine et les bons repas, avant d’ajouter : « Malheureusement, cela se voit. » Oui, et alors ? L’important est qu’elle « prenne figure », selon le conseil donné par de Gaulle à tous ses aspirants successeurs. Une figure qui pourrait dessiner une sorte d’Angela Merkel à la française. À l’opposé du look glamour de Ségolène Royal, mais dont elle vérifie le charisme à chaque bain de foule. Sa place n’est pas dans le people, mais elle se sent à l’aise dans le peuple. Le temps paraît loin où la « dame des 35 heures », qui en a toujours travaillé le double, versait des larmes sur les férocités du livre de Philippe Alexandre.

Depuis, elle s’est blindée, à la mairie de Lille notamment, où elle a été triomphalement réélue en mai 2008 malgré son humiliant échec aux législatives de juin 2002. « C’est le plus beau des mandats, avait-elle déclaré, en même temps que le concentré de tous les problèmes du pays. » Son ami Alain Minc, qui n’est pas précisément socialiste, en tirait cette autre leçon : « Ta victoire n’a de sens que si tu te places face à la Madone. » La madone Ségo, bien sûr, alors que les deux femmes se détestaient déjà cordialement, mais qu’on doutait des ambitions de Martine : ne souffrait-elle pas du même syndrome de passage à l’acte que son père, Jacques Delors, forfait pour l’Élysée en 1994 ?

Minc a été entendu au-delà de ses espoirs. Avec une ténacité de « ­bûcheuse », comme elle aime à se décrire, elle s’emploie à déblayer et tente de rebâtir ce « champ de ruines » qu’est devenu le PS, comme le lui rappellent jour après jour les médias. Elle s’en irrite, peste contre ces journalistes « cyniques » et leur chasse aux petites phrases assassines, oubliant qu’elle-même y contribue volontiers : ses rosseries ne sont pas les dernières à pimenter la chronique.

Le Canard enchaîné avait bien fait rire les rédactions avec son titre sur « La mère-emptoire », tandis que ­Pierre Mauroy lui reprochait alors de dire « trop de mal de trop de monde ». Si elle est encore loin de faire l’unanimité à gauche et dans son propre parti pour construire cette « maison commune » dans laquelle ses détracteurs ne veulent voir qu’un appartement témoin, elle y apparaît peu à peu comme la meilleure opposante, sous la seule réserve d’une éventuelle candidature de Dominique Strauss-Kahn. La meilleure anti-Sarkozy à l’extérieur, et, à l’intérieur, la meilleure anti-Royal.

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 Carpe et lapin

Persuadé qu’elle est la plus capable de faire marcher ensemble la droite et la gauche du PS, le sociologue Michel Wieviorka voit dans son positionnement « une sorte de lieu central où tout doit se jouer ». Quitte à devoir marier les contraires : elle dénonce sur un ton fabiusien le laisser-aller des marchés, mais reconnaît avec les strauss-­kahniens qu’il faut faire la révolution de l’État et des services publics. Gérard Collomb, le maire socialiste de Lyon, peut brocarder ce mariage de la carpe et du lapin célébré dans le « confusionnisme idéologique ». Aubry répond qu’elle est « tout simplement socialiste, sans besoin d’autre qualificatif ».

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Pas si simple, en vérité, comme est complexe le socialisme français lui-même dans ses nombreuses variantes, parmi lesquelles la social-démocratie, qui semble le mieux lui convenir. ­Encore les repères ont-ils été brouillés par le sévère échec des partis sociaux-démocrates aux dernières élections européennes, en pleine crise pourtant d’un capitalisme auquel les droites auraient dû être associées et dont elles ont été paradoxalement disculpées, tandis qu’en France les électeurs du PS se reportaient en masse sur Europe Écologie.

 Mimétisme sarkozien ?

Ajoutons que Martine Aubry, comme tous les candidats au pouvoir suprême contraints au pragmatisme, présente des traits contrastés dans lesquels ses contestataires du PS croient même discerner un mimétisme sarkozien. Elle dénonce les illusions du « travailler plus », mais déclare préférer à l’assistanat « les gens qui se lèvent tôt pour travailler ». Elle condamne la réforme territoriale, mais reconnaît que les gens « ne comprennent plus rien » à l’empilement des collectivités, avec l’Europe en plus. Elle proteste contre la réduction du nombre des fonctionnaires, mais souhaite que les Français « cessent de penser que le politique peut tout faire ». N’a-t-elle pas accepté de préfacer un livre de Tony Blair, lequel avait indigné les députés socialistes en répudiant à la tribune du Palais-Bourbon le manichéisme gauche-droite : il n’y aurait, selon lui, que de « bonnes ou de mauvaises politiques ».

Tout en privilégiant le « collectif » dans ses responsabilités à la tête du PS comme dans ses principes de gouvernance, elle se comporte en hyperdirigeante dans son action quotidienne. Et ne craint pas de « jouer perso » quand l’occasion lui paraît favorable, expliquant sans barguigner que « si on est volontaire, on fait bouger les choses ».

Présente sur tous les fronts, le portable collé à l’oreille, elle n’hésite pas à prendre sans crier gare des initiatives sensibles qu’elle justifie à sa manière coupante : « Moi, je fais le boulot. » Elle a cru pouvoir en donner un exemple en se déclarant favorable au report à 61 ou 62 ans de l’âge du départ à la retraite. Des socialistes s’en sont inquiétés malgré les conditions qu’elle n’avait pas oublié d’y mettre. Le Parti communiste et Lutte ouvrière ont aussitôt diabolisé son « alignement sur le patronat et l’UMP ». Seul Michel Rocard l’a félicitée pour le courage de ses responsabilités gestionnaires, où pointait également – le coup était bien calculé – une intention de recentrage politique au moment où Ségolène Royal réactivait ses approches en direction du Modem.

Un courage, ou une imprudence, de courte durée. Sous la pression du parti, Martine a dû se rétracter deux jours plus tard. On l’avait soupçonnée de vouloir passer en force, comme on le lui reprochait déjà lorsqu’elle a assumé plus encore qu’appliqué la réforme des 35 heures, car c’était une idée de Dominique Strauss-Kahn qu’elle avait d’abord désapprouvée avant d’en prendre tous les risques à son compte.

Candidate à la candidature pour l’Élysée, son sort se jouera lors des primaires, qui elles-mêmes se joueront lors des élections régionales des 14 et 21 mars. Martine Aubry a fixé au plus haut l’objectif pour que la démonstration soit le plus convaincante : garder les vingt régions gagnées en 2004, en métropole, et conquérir les deux seules conservées par la droite : l’Alsace et la Corse. Un pari audacieux. Elle ne survivrait pas à une deuxième défaite électorale après la punition des européennes.

Si, au contraire, elle remporte la consultation, « nationalisée » par les engagements du président et la mobilisation de ses ministres, elle apportera la double preuve qu’elle est la mieux placée pour rassembler le peuple de gauche ; et que ce rassemblement est la condition minimale pour gagner en 2012, avec l’appoint de tous les déçus du sarkozysme.

C’est étrangement un chef de la ­droite, Patrick Devedjian, alors secrétaire général de l’UMP, qui l’avait publiquement pressenti (« elle sera la plus dangereuse pour nous ») et en donnait, avec clairvoyance, les deux raisons : elle est la mieux placée sur l’échiquier de la gauche pour unir les modérés et les extrêmes ; elle est, sur un plan personnel, inattaquable.

Ségolène Royal restera d’ici là sa principale rivale, qu’elle se risque aux primaires ou s’en dispense, selon la forme qu’elles prendront et l’analyse qu’elle fera alors de ses chances dans chacune des hypothèses.

 L’étoffe et les valeurs

Reste l’énigme Strauss-Kahn, de nouveau favori des sondages, devant Martine Aubry, face à Sarkozy, et que résume l’institut Ifop pour Le Journal du dimanche : « DSK a l’étoffe, Aubry a les valeurs. » En fixant au second semestre de 2011 les primaires, d’abord envisagées pour le printemps, Aubry a choisi la date la plus favorable à l’ancien ministre des Finances, la plus proche de la fin de son mandat à la ­présidence du FMI. Elle s’accordait, en même temps, à elle-même le délai maximum pour s’entendre avec lui et épargner à l’un comme à l’autre un conflit, à tout le moins une concurrence, qui ne manquerait pas d’affaiblir leurs chances et leur camp.

Le mystère risque de se prolonger jusqu’à l’échéance de 2011. En attendant, Aubry, convaincue que l’élection présidentielle « se jouera sur le sens », c’est-à-dire sur un nouveau modèle de société, poursuivra son tour de France du « projet », ce programme de développement économique, social et ­écologique qu’une convention nationale va élaborer. Deux autres conventions suivront, l’une concernant les grands enjeux internationaux, l’autre l’égalité réelle.

Tomberont, enfin, les grilles du siège de la rue de Solférino, que Martine Aubry a promis de supprimer avant la fin de l’année – le symbole n’est pas mince pour un parti souvent accusé de sclérose et d’enfermement. Il ne restera plus qu’à déplacer le panneau de la voirie parisienne qui annonce, par une malice non moins symbolique : « circulation difficile ». Bertrand Delanoë y consentira certainement. 

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