« In memoriam » Mohamed Guelbi
Réputé pour son indépendance, le « billettiste » vedette d’Assabah, principal quotidien arabophone du pays, nous a quittés le 31 janvier, à l’âge de 70 ans.
Aux obsèques de Mohamed Guelbi, décédé le 31 janvier, les journalistes tunisiens sont venus en nombre pour saluer la mémoire de celui qui, par son indépendance, son humanisme et son anticonformisme, symbolisait l’honneur des journalistes. Né en 1940 à Korba, sur les rivages du cap Bon, Guelbi a fréquenté le lycée Khaznadar, près de Tunis, avant de poursuivre des études de philosophie à Montpellier (France). Rentré en Tunisie en 1968, il est recruté par l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), dont il deviendra plus tard l’un des rédacteurs en chef. Mais cet amoureux des livres se sent à l’étroit au sein de l’agence officielle, qui n’est pas le meilleur endroit pour donner libre cours à ses talents. Il collabore alors à d’autres médias, dont Assabah, qu’il quitte en 1977 pour l’hebdomadaire Achaab, organe de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). C’est là qu’il devient populaire, avec une rubrique intitulée « Harboucha » (« pilule »). Ses critiques tranchantes à l’égard du pouvoir ont un tel succès que le tirage du journal monte en flèche, parallèlement à la colère des autorités… qui ont du mal à avaler la pilule. Ce qui lui vaut d’être emprisonné et torturé en janvier 1978, avant d’être relâché au bout de quelques semaines.
Il retourne à Assabah, où il signe des billets quotidiens remplis d’humour et d’intelligence intitulés « Lamha » (« clin d’œil »). Il y commente dans un style satirique l’actualité nationale et internationale, ainsi que les faits de société. À l’instar d’un Robert Escarpit, qu’il admirait, avec son billet « Au jour le jour » dans le quotidien français Le Monde, de 1949 à 1979. Un exercice des plus difficiles pour lequel, brûlant cigarette sur cigarette, il cogite, médite, synthétise, affûte, pour n’enfanter que quatre à cinq lignes qu’il envoyait à la rédaction parfois bien plus tard que l’heure à laquelle l’impression du journal devait commencer. « Dans ce cas, je m’impatientais, se souvient Abdellatif Fourati, rédacteur en chef d’Assabah pendant vingt ans (1980-2000). Mais je n’avais d’autre choix que celui de retarder le démarrage des rotatives, puisque faire paraître le journal sans le billet de Guelbi, c’était comme servir un plat sans sel. Sans lui, il n’y avait pas de journal… »
Guelbi avait appris à écrire avec audace sans dépasser les limites supposées « acceptables ». Mais il n’était pas rare que des responsables politiques fassent des « remontrances » aux dirigeants du journal à propos de tel ou tel de ses billets. Sachant que tout ce qui pouvait renforcer l’indépendance du journal et sa crédibilité se traduisait par un surcroît de diffusion, Habib Cheikhrouhou, fondateur du quotidien, couvre le « billettiste » jusqu’à son décès, en 1994. Guelbi devient alors une institution : la première chose que faisaient les lecteurs en achetant le quotidien était de lire sa « Lamha ». Celle-ci comme son auteur manqueront cruellement au paysage médiatique tunisien.
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