Sonatrach : la boîte de Pandore

Au-delà de l’affaire Meziane, les enquêtes sur d’éventuelles malversations au sein du puissant groupe pétrolier se multiplient. Et des langues se délient.

Publié le 16 février 2010 Lecture : 5 minutes.

« Que celui qui dispose de dossiers les transmette à la justice. » C’est en ces termes que le président Abdelaziz Bouteflika avait répondu à Bouguerra Soltani quand le chef du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) menaça, en 2006, de divulguer les noms de hautes personnalités impliquées dans des affaires de corruption. Il va sans dire que le patron du MSP n’en fit rien. Faut-il voir dans l’appel présidentiel l’explication de la démarche de Hocine Malti ? Cet ancien vice-président de Sonatrach a publié dans El Watan du 30 janvier une « lettre ouverte aux enquêteurs du DRS » (Département renseignement et sécurité, services secrets de l’armée) pour leur livrer quelques pistes pouvant les conduire à des affaires autrement plus importantes que celles qui ont provoqué la suspension d’une dizaine de cadres du groupe pétrolier public, dont son PDG, Mohamed Meziane, et quatre de ses cinq vice-présidents. Estimant que l’enquête porte sur la passation de marchés « d’importance secondaire », Hocine Malti déplore le fait que les investigations en cours s’arrêtent « au dernier étage de la technocratie (…), comme si les très hautes personnalités politiques et militaires étaient immunisées contre toute tentative de corruption ».

Qui est Hocine Malti ?

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L’affaire Sonatrach, on s’en doute, a mis dans une position inconfortable Chakib Khelil, ministre de tutelle et premier décideur algérien en matière de politique pétrolière et énergétique depuis une décennie. Depuis le 13 janvier, date de l’annonce de la mise en examen de Mohamed Meziane, Chakib Khelil est affublé d’un nouveau sobriquet : PPH, « passera pas l’hiver ». Mais s’il n’est pas tout à fait serein, il ne panique pas pour autant. « Pas question de démissionner », a-t-il réaffirmé le 2 février, en marge de la cérémonie de clôture de la session d’automne du Parlement. Quand les nombreux journalistes présents l’interpellent sur les graves accusations lancées par Hocine Malti, il balaie l’assistance d’un regard ironique et lâche : « Vous connaissez tous Chakib Khelil, qui d’entre vous connaît Hocine Malti ? »

Hocine Malti est un des rares ingénieurs pétroliers dont disposait l’Algérie au moment de l’indépendance. C’est à ce titre qu’il fait partie des premiers cadres de Sonatrach, dont il deviendra le directeur de la production, puis, au milieu des années 1970, le vice-président, donc le supérieur de Chakib Khelil, alors sous-directeur de l’exploitation. Quelques mois après le décès de Houari Boumédiène, il quitte le groupe pour devenir conseiller technique du secrétaire général de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (Opaep), qui le nomme, dans les années 1980, à la tête d’un holding multinational, Arab Petroleum Services Company (APSC). Il est aujourd’hui consultant international. C’est dire s’il sait de quoi il parle.

Malti n’a pas attendu les malheurs de Meziane pour s’exprimer sur la gestion des hydrocarbures en Algérie. Il a participé à de nombreux débats, multiplié les articles et les tribunes dans la presse nationale. Peu connu du grand public, il s’était illustré par son opposition à la loi sur les hydrocarbures, « adoptée à la hussarde en avril 2005 ». Partisan du patriotisme économique, il a une forte inclination pour les idées de gauche, comme en témoignent ses interventions publiques. Ses écrits sont d’ailleurs systématiquement repris par les médias proches des communistes algériens et salués comme il se doit par des personnalités telles que Sadek Hadjerès, ancien patron du Parti de l’avant-garde socialiste (Pags, ex-PCA, aujourd’hui MDS).

Hocine Malti n’a jamais caché son hostilité à l’égard de son ancien subordonné Chakib Khelil, qu’il présente comme « un pion du dispositif des États-Unis » dans sa quête de mainmise sur le pétrole mondial. Le pionnier de Sonatrach s’était félicité du « recul » de Bouteflika quand celui-ci renonça, en juin 2006, à la loi sur les hydrocarbures, mais il met cette décision sur le compte d’une « guerre de clans au sein du sérail politique ».

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Trois pistes pour le DRS

En encourageant les enquêteurs du DRS à ne pas se limiter aux seules affaires « accessoires », qui ne coûtent à la collectivité nationale « que quelques centaines de milliers de dollars », alors que la prévarication représente un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars, Malti suggère aux limiers des services de renseignement de s’intéresser à « la partie immergée de l’iceberg ». Et il cite trois dossiers.

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Le premier concerne la commercialisation du pétrole algérien. Selon Malti, Sonatrach n’écoule sa production pétrolière qu’auprès de quatre ou cinq clients. « Derrière chacun d’eux se trouve un membre du sérail. Ces barons ont leurs hommes de paille à Alger, mais aussi des correspondants dans les bureaux de Sonatrach à Londres ou à Houston. »

La deuxième piste suggérée par l’auteur de la lettre ouverte touche aux incohérences qui ont caractérisé la gestion du projet gazier de Gassi Touil. Initialement le fruit d’un partenariat entre Sonatrach et deux groupes espagnols, Repsol YPF et Gas Natural, le projet devait coûter 3,6 milliards de dollars pour une livraison en 2011. Mais un contentieux entre les partenaires algérien et ibériques a provoqué un surcoût de l’ordre de 110 % et un retard à la livraison de deux années. Malti est convaincu que les surcoûts s’expliquent par les commissions occultes qu’ont touchées des personnalités politiques et militaires, ainsi que par la mauvaise gouvernance de Sonatrach.

Troisième piste signalée par Malti, le projet El-Merk, où doit être réalisé un hub pétrolier par lequel transiterait l’essentiel de la production des gisements du Sud algérien, monté en association entre Sonatrach et l’américain Anadarko. Ce projet avait été initialement confié à Brown & Root-Condor (BRC), joint-venture créé en 1994 par Sonatrach et Kellogg Brown & Root, filiale de Halliburton. Dissout en 2006 après la mise au jour de plusieurs malversations autour de marchés intéressant Sonatrach (dont la réalisation du siège du ministère de l’Énergie qu’occupe Chakib Khelil) ou encore le ministère de la Défense (fourniture de mallettes de commandement et de matériel sensible de communication), BRC a été remplacé par le canadien SNC-Lavalin, « une entreprise qui est toujours bien placée dans les appels d’offres algériens, note Malti, et de plus en plus dans ceux de Sonatrach ».

S’il donne des pistes, Malti ne « balance » aucun nom. En donnera-t-il au magistrat instructeur ? « Encore faut-il qu’il y ait procédure », note une célébrité du barreau. Sera-t-il entendu par les enquêteurs du DRS ? Le quotidien arabophone El Khabar en est convaincu : « Malti sera entendu », titre à la une le journal algérois. Si, du côté du DRS, on ne confirme pas l’information, « cela devrait se faire, car c’est dans l’ordre des choses, nous avons mandat pour aller jusqu’au bout et on ira jusqu’au bout ».

Règlements de comptes ?

À Hydra, sur les hauteurs d’Alger, où se trouve le siège de Sonatrach, on ne décolère pas contre Malti. Un jeune cadre du groupe déplore les « confessions tardives de l’ancien vice-président », quand un collègue plus âgé ironise : « Le système que dénonce aujourd’hui Malti ne date pas d’hier. Il a été mis en place alors qu’il était aux affaires. » Mais le sentiment qui prévaut au sein de Sonatrach est la crainte de voir déballées de vieilles affaires qui écorneraient l’image du groupe. On redoute aussi que la délation soit érigée en mode de fonctionnement et qu’elle soit motivée, non par le souci de moraliser la gestion des deniers publics, mais par les règlements de comptes.

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