Prisons d’Afrique
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 8 février 2010 Lecture : 2 minutes.
Depuis cinquante ans, Jeune Afrique entretient avec ses lecteurs un lien unique, souvent passionnel et toujours affectif. On nous écrit pour se plaindre ou s’enthousiasmer, féliciter notre travail ou le critiquer, dénoncer une injustice ou rêver à un monde meilleur. Et on nous écrit, parfois, comme on jette une bouteille à la mer. BBY m’a transmis l’autre jour l’un de ces messages de naufragés de la vie, à lui adressé, qui nous laisse à la fois pantois et terriblement impuissants. Il émane d’un condamné à perpétuité de la prison de Kondengui, à Yaoundé, au Cameroun. Celui qui signe « le détenu Sylvestre Ottou, quartier No 8, cellule No 93 » purge depuis un quart de siècle une peine incompressible pour un meurtre commis lors d’une altercation, alors qu’il était encore mineur. Il ne demande rien, seulement qu’on écoute le récit de sa détresse : « Je suis nu, je crève de faim, je n’ai pas d’argent pour motiver un avocat, j’ai perdu presque toute ma famille, je souffre gravement. C’est vrai, j’ai poignardé mon adversaire lors d’une bagarre, mais que votre compréhension m’excuse car je n’avais que 16 ans à l’époque. Je ne sais pas où et par qui Dieu m’ouvrira ses portes. C’est la première fois que j’écris. Dans mon pays, c’est chacun pour soi et tant pis pour les pauvres. » Régulièrement, une sœur religieuse, qui est sans doute la seule personne hors les murs à se souvenir de l’existence de Sylvestre Ottou, lui prête des exemplaires de J.A. « C’est comme ça, écrit-il, que je me suis dit du fond de ma cellule : je vais leur faire connaître mon malheur. Si cette lettre vous parvient, bien sûr. »
Elle nous est parvenue un matin de janvier 2010, postée de Yaoundé par la sœur charitable. Sa publication dans nos colonnes incitera-t-elle la justice camerounaise à rouvrir le dossier de cet homme de 40 ans, emprisonné à vie alors qu’il était à peine sorti de l’enfance ? Puisqu’un État de droit se juge aussi sur sa capacité à corriger ses erreurs et à gérer ses lieux d’enfermement, ce test-là en vaut bien un autre. Dans ces concentrés de misère humaine que sont les prisons d’Afrique, les exclus du système judiciaire oubliés à perpétuité au fond d’un cul de basse-fosse sont légion. Réhabilitation, réinsertion, libération conditionnelle… connais pas. Quel Soljenitsyne africain décrira un jour cet archipel des goulags tropicaux, pour qu’enfin cela change ?
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