Éthiopie : les stars de l’athlétisme bâtissent leurs empires

Les stars éthiopiennes de l’athlétisme investissent massivement dans l’économie, en particulier dans l’immobilier. Au point que certains érigent de véritables petits empires.

Haile Gebreselassie devant son établissement, le Haile Resort, àAwasa (Sud). DR

Haile Gebreselassie devant son établissement, le Haile Resort, àAwasa (Sud). DR

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 23 mai 2013 Lecture : 3 minutes.

Haile Gebreselassie, double champion olympique du 10 000 m, possède trois immeubles à Addis-Abeba. Deux de plus que Derartu Tulu, la première femme noire africaine à avoir remporté une médaille d’or olympique, en 1992. Quant à Gebregziabher Gebremariam, champion de cross-country, il est en train de faire construire le sien. Dans la capitale éthiopienne, les bâtiments poussent au fil des succès remportés par les enfants du pays qui, avec leurs rivaux kényans, dominent la course de fond mondiale depuis plus de vingt ans. Il est vrai qu’une seule victoire dans l’un des grands marathons mondiaux, avec des gains qui peuvent aller jusqu’à 200 000 dollars (environ 150 000 euros) à Dubaï, permet de se constituer une petite fortune à faire fructifier. Surtout dans un pays où 30 % des habitants vivent encore avec moins de 0,60 dollar par jour.

Pour ces sportifs souvent issus de milieux très modestes, le bâtiment reste le secteur le plus sûr pour placer des revenus aléatoires, et la vigueur du marché de l’immobilier dans la capitale leur promet de jolies plus-values. Leurs investissements ne sont cependant pas toujours guidés par la stricte rationalité économique. Ainsi la ville d’Asella (Centre), qui a vu naître nombre de grands athlètes, compte aujourd’hui presque autant d’hôtels que de champions – Derartu Tulu et Haile Gebreselassie en possèdent notamment un chacun. « Il y a très peu de touristes dans la région. Ces établissements servent plus à inviter leurs amis, faire plaisir à leur famille et contribuer au développement de la région qu’à être rentables », constate Sileshi Bisrat, directeur de la communication de la Fédération éthiopienne d’athlétisme. « Contrairement à ce qui se passe ailleurs, poursuit-il, nos athlètes placent leur argent au pays plutôt qu’à l’étranger. Même Maryam Yusuf Jamal, une coureuse bahreïnie d’origine éthiopienne, a choisi de faire construire à Addis-Abeba. »La coureuse bahreïnie d'origine éthiopienne MaryamYusuf Jamal fait construire àAddis plutôt qu'à Manama. © Clive Brunskill/Getty/AFPplutôt qu'à Manama. © Clive Brunskill/Getty/AFP" class="caption" />

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Secrets abyssins

La longévité de certaines carrières a en revanche donné naissance à des entreprises rentables. Ainsi le triple médaillé d’or olympique et recordman du 5 000 m et du 10 000 m Kenenisa Bekele fait construire un hôtel international à proximité de l’aéroport d’Addis-Abeba. À Sululta, le lieu d’entraînement traditionnel des athlètes, sur les hauteurs de la capitale, il possède en outre un centre d’entraînement privé, avec piste d’athlétisme aux normes et chambres d’hôtel. Il cible une clientèle internationale intriguée par les secrets des coureurs abyssins.

L’Algérien Taoufik Makhloufi, champion olympique en titre du 1 500 m, est récemment venu s’entraîner à Sululta. Mais il a préféré poser ses valises au Yaya Village, un centre concurrent fondé par Joseph Kibur, autre ancien coureur. Haile Gebreselassie est aussi actionnaire du Yaya Village. Mais le petit empire de Haile, avec ses plus de 600 salariés, ne s’arrête pas là. Le capital accumulé au fil des victoires et un sens inné des affaires (ainsi qu’une certaine dose de pingrerie, d’après la rumeur d’Addis) l’ont conduit à diversifier ses investissements.

Détenteur des records du 5000 m et du 10000 m, Kenenisa Bekele va ouvrir un hôtel international près de l'aéroport de la capitale. © Michael Sohn/AP/SIPAEntre deux courses à l’étranger (il a encore remporté le semi-marathon de Vienne le 14 avril), ce champion qui gère lui-même ses affaires a trouvé le temps de créer Marathon Motor Engineering, distributeur exclusif du constructeur automobile coréen Hyundai en Éthiopie. Il a construit deux écoles privées, un cinéma et un hôtel dans la ville touristique d’Awasa (sud du pays), investi dans l’immobilier et créé une société d’organisation d’événements sportifs : Great Ethiopian Run (« grande course éthiopienne »). « Notre organisation est née en 2001, explique Ermias Ayele, son directeur général. Au départ, c’était une association à but non lucratif qui organisait une course annuelle populaire de 10 km à Addis-Abeba. Nous avons ensuite étendu le concept en organisant des courses dans toutes les régions du pays. » Depuis 2010, le gouvernement éthiopien favorise le développement des métiers d’agent de sportif et d’organisateur d’événements. Début 2013, Great Ethiopian Run a ainsi changé de statut pour devenir une entreprise, propriété de Haile Gebreselassie. « La dernière édition de notre course à Addis-Abeba a attiré plus de 36 000 inscrits et généré un chiffre d’affaires d’environ 400 000 dollars. En octobre 2013, nous allons organiser notre premier marathon de masse, le Haile Gebreselassie Marathon, à Awasa », explique Ermias Ayele. Les organisateurs, qui espèrent réunir 1 200 participants, proposent des packages de voyages aux coureurs étrangers, avec des prix variant de 1 150 dollars à 3 650 pour les circuits touristiques les plus longs. Pour les attirer, 12 onces d’or, soit environ 19 000 dollars, sont promis au vainqueur. De quoi faire un joli capital de départ pour un athlète éthiopien…

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