Israël-Egypte : pas de Terre promise pour les Subsahariens
Pour enrayer l’immigration clandestine originaire du Soudan et de la Corne de l’Afrique, Tel-Aviv décide de faire construire un mur entre le désert du Néguev et celui du Sinaï. Avec l’approbation tacite du Caire.
Il s’appelle Ismaël et il est soudanais. Comme Moïse il y a plus de trois mille ans, ce jeune migrant clandestin rêve de traverser le désert du Sinaï pour rejoindre la Terre promise : Israël. Depuis deux ans, Ismaël vit de mendicité et de petits boulots à la périphérie du Caire. Le soir, il écume les cafés louches de la capitale, où des migrants en quête d’eldorado rencontrent des passeurs aguerris. « J’ai entendu beaucoup d’histoires sur le passage en Israël. Des gens qui ont été tués, qui sont morts de faim, de soif ou de fatigue. Je sais que c’est très dur d’y arriver, mais je suis prêt à le payer de ma vie. »
Appelée par les Bédouins « Darb el-Sudaniyyine » (« la route des Soudanais »), la frontière entre Israël et l’Égypte est un trait d’asphalte en plein milieu du désert aride du Sinaï. Jusqu’au début des années 2000, la frontière était peu fréquentée et donc très peu contrôlée de part et d’autre. Mais avec l’afflux massif de migrants subsahariens fuyant la guerre ou la misère, ce désert est devenu un lieu de passage extrêmement surveillé. À tel point que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a annoncé le 10 janvier la construction d’un mur sur une soixantaine de kilomètres, entre le désert du Néguev et celui du Sinaï. Une barrière de sécurité grillagée, munie de radars et dotée des dernières innovations technologiques en la matière, devrait être érigée d’ici à deux ans pour un coût de 1,5 milliard de shekels (environ 285 millions d’euros).
Pour Ismaël, comme pour la plupart des migrants, l’Égypte ne devait être qu’une étape du long parcours vers l’Europe ou Israël. Selon les estimations, il y aurait entre 500 000 et 3 millions de demandeurs d’asile subsahariens en Égypte, pour la plupart soudanais, somaliens, éthiopiens et érythréens. Coincé au Caire, où il attend d’épargner suffisamment pour payer son passage, Ismaël souffre de conditions de vie extrêmement précaires. « Non seulement les Égyptiens sont racistes, mais, ici, il est très difficile de trouver un travail ou de scolariser ses enfants. Surtout, on est à la merci de la police, qui n’a aucun respect pour nous. » Les Subsahariens du Caire n’ont pas oublié qu’en 2005 les forces de l’ordre avaient ouvert le feu près des bureaux du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), tuant plus de trente demandeurs d’asile soudanais. « C’est pour cela que je veux aller en Israël, explique Ismaël. C’est un pays démocratique et riche où il y a déjà une communauté africaine qui peut nous aider. »
De fait, « à la fin des années 1990, rappelle Lisa Anteby-Yemini, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’État hébreu avait accordé de nombreux permis de résidence à des réfugiés originaires du Soudan, d’Éthiopie ou d’Érythrée, et l’opinion publique israélienne leur avait réservé un accueil plutôt favorable ». Mais aujourd’hui, le discours d’Israël a bien changé. Devant l’afflux de migrants, le Premier ministre a parlé de « véritable tsunami ». « Israël, s’est-il inquiété, est le seul pays du monde développé accessible à pied depuis le Tiers Monde et l’Afrique. »
Stigmatisation
Selon l’armée israélienne, 7 554 migrants illégaux ont franchi la frontière entre l’Égypte et Israël en 2008. Grâce à un renforcement de la politique de refoulement, ils n’auraient été que 3 190 en 2009. Entre 100 et 200 Subsahariens essaieraient chaque semaine de traverser la frontière. Toujours selon l’armée, Israël abriterait 300 000 travailleurs illégaux. Un chiffre contesté par les associations de droits de l’homme, qui rappellent que les Palestiniens sont inclus dans le décompte.
Pour enrayer l’afflux de clandestins, Israël ne s’est pas privé de faire appel au Caire, qui a pris l’injonction au pied de la lettre, autorisant sa police à pratiquer la politique du « shoot to stop » (« tirer pour arrêter »). En 2008 et en 2009, 28 et 20 migrants respectivement, dont des femmes et des enfants, ont ainsi trouvé la mort. Face aux protestations des organisations de droits de l’homme, les Égyptiens répliquent qu’ils luttent contre les trafiquants et les terroristes. La perspective du mur israélien ne rencontre d’ailleurs aucune opposition en Égypte. « Cela ne nous concerne pas », s’est contenté d’affirmer le ministre des Affaires étrangères, sans doute plus occupé à la construction d’un autre mur le long de la frontière avec la bande de Gaza.
Le Sinaï est depuis longtemps un haut lieu de tous les trafics – marchandises, drogue, alcool, êtres humains – entre l’Égypte, la bande de Gaza et Israël, mais aussi avec la Jordanie et même l’Irak. Mais les autorités concernées n’avaient jamais à ce jour levé le petit doigt. « Les itinéraires migratoires actuels suivent d’anciennes routes de contrebande et ne font que réactualiser les commerces informels, déjà anciens », explique Lisa Anteby-Yemini. Depuis cinquante ans, les tribus bédouines, qui connaissent la région comme leur poche, ont développé une économie informelle florissante. Pour un passage, ils demandent entre 500 et 2 000 dollars. « Quand on est dans le désert, on est à la merci des passeurs, témoigne Ismaël. Ils prennent tout, argent, passeport… Parfois, ils abandonnent les gens dans le désert ou violent les femmes. » Après une « sortie d’Égypte » extrêmement périlleuse, les migrants arrivent en Israël et découvrent, pour la plupart d’entre eux, que ce pays est loin d’être une terre promise.
Depuis quelques années, les Subsahariens sont de plus en plus stigmatisés au sein de la société israélienne. La communauté éthiopienne, la plus nombreuse et la plus ancienne, a beaucoup de mal à s’intégrer. Victime du chômage et de l’exclusion, elle est confinée dans des ghettos aux abords des grandes villes. Les migrants en situation irrégulière arrivés plus récemment s’entassent, eux, dans les bidonvilles de Tel-Aviv ou d’Eilat et vivent de petits boulots. Soupçonnés d’être des terroristes, des trafiquants de drogue ou des criminels, ils traînent une très mauvaise image. En novembre 2009, le président du parti religieux Shass, Eli Yishai, s’est même tristement illustré en accusant les milliers de travailleurs subsahariens d’être porteurs du sida.
Un pays ghetto
« On agite la menace sécuritaire et économique que représentent les immigrés. Dans ces conditions, l’opinion publique ne se mobilise pas vraiment contre la construction du mur », analyse un spécialiste de la société israélienne. D’autant que pour les franges les plus conservatrices et les plus nationalistes de la population, ce mur est avant tout un moyen de « protéger la judéité du pays », comme l’a affirmé le Premier ministre lui-même. Beaucoup craignent en effet que la poursuite de l’immigration, qui concerne surtout des musulmans et des chrétiens, n’entraîne un déséquilibre démographique au détriment des juifs.
Les responsables de gauche et les associations de droits de l’homme, comme Human Rights Watch (HRW), se sont élevés contre cette mesure et s’inquiètent du sort des réfugiés. Ils dénoncent également le coût colossal du projet. Mais pour Israël, ce n’est finalement qu’un mur de plus. Le pays a déjà érigé une barrière de sécurité sophistiquée le long de la frontière avec le Liban pour se protéger du Hezbollah. Une autre le long de la frontière avec la Syrie, sur le plateau du Golan. Construite après 1967 pour barrer la route aux fedayin palestiniens, une clôture traverse la vallée du Jourdain jusqu’à la mer Rouge et isole Israël du royaume hachémite. Et il y a, bien sûr, les frontières hermétiques séparant l’État hébreu des territoires occupés : celle de Gaza et le « mur de la honte », tel que l’appellent les Palestiniens, en Cisjordanie, sur 510 km (810 km étaient prévus).
Les éditorialistes israéliens n’ont pas manqué de relever le paradoxe : avec le mur du Sinaï, Israël est en passe de devenir un pays ghetto totalement refermé sur lui-même. « Tous les enfants israéliens sont nés avec des images de clôtures dans la tête – celle notamment des camps de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. Or nous devenons un État asphyxié par des clôtures. Penser que telle est notre destinée a de quoi rendre fou », s’est désolé Eitan Haber dans les colonnes du Yediot Aharonot.
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