Provinces du Sud : ce qui a changé

Un rapport sur le développement humain dans les régions méridionales fait état d’avancées remarquables sur les plans économique et social. Revue de détail.

Port de pêche de Dakhla, dans l’extrême sud du Maroc. © Alexandre Dupeyron

Port de pêche de Dakhla, dans l’extrême sud du Maroc. © Alexandre Dupeyron

Publié le 2 février 2010 Lecture : 5 minutes.

Achevé deux mois après les émeutes de juin 2008 à Sidi Ifni, le rapport sur le développement humain dans les provinces sahariennes, commandé par l’Agence du Sud, est resté curieusement dans les tiroirs… jusqu’à la semaine dernière. Ses conclusions, tirées de statistiques fournies par le Haut Commissariat au plan (HCP) et complétées par des enquêtes de terrain, sont pourtant extrêmement favorables puisque, trente-cinq ans après leur rattachement au royaume, les neuf provinces ont enregistré des progrès remarquables en matière de développement économique et social. Certes, les pouvoirs publics ont demandé un effort considérable aux Marocains – l’économiste Fouad Abdelmoumni estime à 1 200 milliards de dirhams (106 milliards d’euros) les dépenses militaires et civiles depuis 1975 dans les territoires sahariens, soit 3 % de croissance annuelle –, mais ce coup de collier a réussi à rendre le désert plus accueillant, à bâtir de nouvelles villes, à développer des activités génératrices de revenus dans la pêche, le tourisme et l’artisanat…

Alors, pourquoi si tard ? « Il ne faisait pas bon claironner ces résultats après les événements de Sidi Ifni, explique un diplomate européen, car les populations de cette zone, qui ne bénéficient pas des aides accordées aux provinces du Sud, auraient pu se rebeller davantage. Ensuite, il y a eu l’enquête de l’hebdomadaire Tel Quel, « Ce que nous coûte le Sahara », qui a de nouveau différé sa sortie officielle. » Ce rapport arrive en tout cas à point nommé pour relancer une agence gouvernementale dont le manque de visibilité est souligné en haut lieu. Les pouvoirs publics espèrent aussi démontrer que la nouvelle politique de régionalisation doit s’accompagner d’investissements bien ciblés.

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 Urbanisation accélérée

Estimés à moins de un million, répartis sur 60 % du territoire national, les habitants des provinces du Sud représentent 2,7 % de la population totale du Maroc. Leur nombre augmente néanmoins rapidement, au rythme de 3,2 % par an, contre 1,4 % pour la moyenne nationale. Cet accroissement s’explique en grande partie par l’arrivée de ménages du Nord, désireux de profiter des opportunités d’emploi et d’activité, ainsi que des équipements, infrastructures et services sociaux proposés par l’État. La population de la région d’Oued Eddahab-Lagouira est passée de 21 500 personnes en 1982 à plus de 164 000 aujourd’hui. Celle de Laayoune-Boujdour-Sakia el-Hamra, de 122 000 à 309 000. Et celle de Guelmin-Es-Smara, de 300 000 à désormais presque 505 000. Depuis les années 1980, on constate une forte urbanisation conjuguée à une meilleure maîtrise de la fécondité, une réduction de la taille des foyers et une hausse de la population active. Un tiers des habitants ont cependant moins de 15 ans.

 Mieux éduqués et mieux soignés

En 1975, près des trois quarts de la population du Sahara vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, ils sont moins de 10 %. En vingt ans, la pauvreté a diminué de 66 %, soit deux fois plus rapidement que la moyenne du royaume. « Les objectifs du millénaire, fixés à 2015, sont déjà atteints, explique Emmanuel Dierckx de Casterlé, ancien représentant du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) au Maroc et auteur du rapport. C’est le fruit d’un volontarisme politique, depuis la mise en place d’un département chargé des Affaires sahariennes, en 1977, jusqu’à la création de l’Agence du Sud, en 2002. » La progression annuelle du bien-être économique (PIB par habitant exprimé en parité du pouvoir d’achat) s’élève à 3,3 %, contre 1,4 % pour le reste du royaume. Le taux d’accès au réseau d’eau potable (57,7 %) et à l’électricité (93,2 % à Laayoune) y est également supérieur. Environ deux habitants sur trois ont un téléphone mobile et plus de 80 % de la population un téléviseur.

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Contrairement aux idées reçues, la population y est mieux éduquée que dans le reste du royaume. Ce qui n’a pas toujours été le cas : 78 % des chefs de famille n’avaient aucune instruction scolaire en 1985. Ce lourd héritage de la période coloniale se dissipe peu à peu grâce aux investissements socio-éducatifs, puisqu’ils ne sont plus que 50 %. Le taux de scolarisation est aujourd’hui de 77,5 %, soit presque aussi élevé qu’à Rabat et à Casablanca. Si la pratique de la darija est généralisée, plus de 40 % des habitants de Laayoune parlent aussi le français, contre 30 % à l’échelle nationale. Près de un cinquième de la population des provinces est de langue maternelle hassanya. D’un niveau de formation supérieur aux hommes, les femmes sahraouies ont néanmoins tendance à rester au foyer.

Comme pour l’enseignement, les pouvoirs publics ont nettement amélioré le niveau d’accès aux soins en mettant en place des programmes prioritaires en matière d’immunisation, d’hygiène, de santé maternelle et infantile, de planification familiale et de lutte contre les maladies transmissibles. L’espérance de vie est de 73 ans, soit presque une année de plus que la moyenne nationale.

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 Maillon faible : l’emploi

En 2006, les régions du Sud comptaient 253 000 actifs, soit un peu plus du quart de leur population. La fonction publique (éducation, santé, administration) est la principale pourvoyeuse d’emplois (60 % des salariés). Elle distribue annuellement quelque 8 milliards de dirhams (700 millions d’euros) de salaires, soit près de 84 % de la rémunération totale des neuf provinces. Bien qu’en régression, le taux de chômage est de presque 20 %, contre moins de 10 % au niveau du pays. Près de 72 000 emplois ont été créés dans les régions sahariennes entre 2000 et 2006. « Le potentiel économique est réel, indique l’auteur du rapport. Il faut continuer à promouvoir le développement du tourisme, de la production minière, de l’artisanat et de la pêche. » Dakhla, Laayoune, Tan Tan et Tarfaya ont aujourd’hui leur port de pêche et disposent de ressources halieutiques importantes. Les autorités ont également construit des complexes artisanaux et des centres d’apprentissage dans les principales villes. Les provinces du Sud bénéficient aussi du plan Azur via le programme d’aménagement des « plages blanches », dont le coût est estimé à 3 milliards de dirhams (260 millions d’euros) pour une capacité de 24 000 lits. Tourisme saharien, balnéaire, culturel, sportif (pêche et windsurf)… les possibilités sont variées.

Pour le moment, ces activités mobilisent principalement les allogènes, tandis que la population sahraouie reste largement inemployée et soumise à une politique publique d’assistanat à travers un système de distribution de pensions. Un système qui donne lieu à des détournements au détriment des plus démunis. De son côté, l’armée est impliquée dans les trafics de denrées alimentaires et d’essence, des produits subventionnés vendus bien moins cher que dans le reste du royaume. Des travers que les vingt et un membres de la Commission consultative de la régionalisation (CCR) mise en place par le roi en début d’année devront prendre en compte avant de proposer, d’ici à la fin du mois de juin, « un modèle national de régionalisation avancée ».

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