L’Éthiopie se rêve en « tigre africain »

Après une décennie de croissance sans précédent, le pays doit trouver un second souffle. Ses principaux défis : la modernisation des filières agroalimentaires et l’essor du privé.

En moins de 10 ans, 2,5 millions d’Éthiopiens sont sortis de l’extrême pauvreté. DR

En moins de 10 ans, 2,5 millions d’Éthiopiens sont sortis de l’extrême pauvreté. DR

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Publié le 24 mai 2013 Lecture : 4 minutes.

Barrage à tous les étages

L’Éthiopie veut capitaliser sur son potentiel hydroélectrique (estimé à 40 000 mégawatts, le deuxième du continent après celui de la RD Congo) pour assurer son développement industriel et devenir le premier exportateur d’électricité en Afrique (elle alimente déjà Djibouti). Elle compte donc porter ses capacités hydroélectriques de 2 100 MW à plus de 10 000 MW dès 2015. Un chantier de 9 milliards d’euros, dont 35 % seront affectés à la construction de 8 000 km de lignes électriques pour mailler la région. La plus grande part des financements revient aux deux barrages construits par l’italien Salini Costruttori : Grand Ethiopian Renaissance Dam (l’un des plus grands du monde, avec 5 250 MW, qui doit être livré en 2016), sur le Nil Bleu, et Gibe III (1 870 MW), sur l’Omo, à 470 km au sud-ouest d’Addis, dont le chantier se poursuit malgré la controverse avec les populations locales (200 000 paysans doivent être déplacés).

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Principalement portée par l’investissement public dans les infrastructures énergétiques et de transport – conformément au Growth & Transformation Plan (GTP, « plan de croissance et de transformation ») 2010-2015 -, la croissance devrait se stabiliser à 6,5 % en 2013 et pour les quatre années suivantes, selon le Fonds monétaire international (FMI). Un petit essoufflement qui tient au fait que « la productivité agricole n’a pas progressé comme espéré », selon Zemedeneh Negatu. Représentant plus de 45 % du PIB et 80 % des emplois, l’agriculture pèse aussi très lourd dans les exportations du pays, dont le déficit commercial s’est creusé de 43 % l’an dernier pour atteindre 7,9 milliards de dollars (6,4 milliards d’euros).

Virage

Pour faire prendre au secteur agricole le virage de la modernité, le gouvernement s’inspire du modèle de développement asiatique des années 1980 – qualifiant l’Éthiopie de « tigre africain », en référence aux économies émergentes d’Asie du Sud-Est – et veut développer l’agro-industrie, seule à même de donner de la valeur ajoutée aux exportations et de créer suffisamment d’emplois pour digérer le boom démographique, la population étant appelée à passer de 86 à 120 millions d’habitants d’ici à 2020 (+ 40 %).

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L’État compte accompagner cette industrialisation par la poursuite du GTP ; pour sa mise en oeuvre, il doit trouver « entre 50 et 115 milliards de dollars », selon les experts. Il peut s’appuyer sur les transferts de la diaspora, qui contribue chaque année à hauteur de 10 % au PIB, et sur l’investissement étranger. En revanche, pas question d’avoir recours à la planche à billets, après en avoir abusé au point de faire exploser l’inflation à près de 41 % mi-2011. Depuis qu’il a ramené son taux sous les 10 % en mars, le gouvernement peut maintenant se concentrer sur l’amélioration de l’environnement des affaires pour soutenir l’investissement privé et éviter de creuser l’endettement public, évalué à près de 20 % du PIB.

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Bébés champions

Si les observateurs internationaux insistent sur l’essor du secteur privé éthiopien, celui-ci ne représente encore « que 6,9 % de la formation brute de capital du PIB », comme le rappelle la Banque africaine de développement (BAD) dans son étude sur le pays publiée mi-2012. La faute au capitalisme d’État mis en place par l’ancien Premier ministre Mélès Zenawi, qui, pendant plus de dix ans, a gardé la haute main sur l’économie du pays avant de lancer, à partir de 2002, les vastes programmes de privatisation qui ont ramené le nombre d’entreprises publiques de 250 à 40 actuellement.

À quelques exceptions près, incarnées notamment par les entreprises de Midroc Ethiopia, le groupe de l’homme d’affaires saoudien d’origine éthiopienne Mohammed Al Amoudi, ou par Sunshine Construction, le holding fondé par le self-made-man addissois Samuel Tafesse, le secteur privé est encore balbutiant. Soulignant « la faiblesse de l’esprit d’initiative », les experts de la BAD estiment qu’il faudra attendre une dizaine d’années avant de lui voir jouer un rôle fondamental dans l’économie. Celle-ci reste dépendante de l’État, principal donneur d’ordres, et le commerce extérieur est encore peu développé comparé à celui des pays voisins.

Ambitions

Cependant, les exemples de réussite ne sont plus rares. Comme celle de SoleRebels et de sa jeune créatrice, Bethlehem Alemu, qui, depuis un an, fait régulièrement la une de la presse internationale. La businesswoman a fondé sa société en 2004. À 32 ans, elle emploie désormais 300 personnes qui produisent chaque jour 2 500 paires de chaussures, dont 90 % sont exportées. Destination l’Europe, les États-Unis et l’Asie, où ses modèles fabriqués à partir de pneus recyclés font fureur. En plus de son magasin à Addis-Abeba, elle compte trois boutiques à Taïwan et doit en ouvrir une prochainement à Singapour. Son ambition : un chiffre d’affaires de 10 millions de dollars (7,7 millions d’euros) en 2016.

D’autres entreprises éthiopiennes se sont fait un nom, notamment dans la filière café, dont le pays est le premier exportateur africain. Ainsi, Robera PLC, qui vend ses arabicas dans le monde entier depuis les années 1970, affiche désormais un résultat net de quelque 6 millions de dollars. Lancée au début des années 2000, la production de fleurs, en particulier de roses, compte aussi quelques champions nationaux dont AQ Roses, qui travaille en sous-traitance pour des distributeurs néerlandais. O.C

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