Je te filme moi non plus

Joann Sfar retrace de manière classique la vie de Serge Gainsbourg. Et signe un film honorable mais trop sage pour un tel personnage.

Eric Elmosnino en Gainsbourg, capture d’écran du site du film © DR

Eric Elmosnino en Gainsbourg, capture d’écran du site du film © DR

Renaud de Rochebrune

Publié le 26 janvier 2010 Lecture : 2 minutes.

Le biopic, autrement dit le film biographique, qu’il soit centré sur un épisode de l’existence d’une célébrité ou qu’il raconte la totalité de sa vie, est un genre à la mode. Il a toujours existé, le plus souvent consacré à des personnalités politiques (Kennedy, Gandhi, Lumumba…) ou artistiques (Charlie Parker, Ali Farka Touré, Van Gogh…). Mais il opère un retour en force. Les deux longs-métrages qui font l’événement en ce début de 2010 en témoignent : d’un côté Invictus, l’hommage sans nuances de Clint Eastwood à Nelson Mandela ; de l’autre, semblant assuré lui aussi d’un succès public, Gainsbourg (vie héroïque), sur un mythe de la scène musicale française.

Le récit du parcours de Lucien Ginz­burg, vrai nom du créateur du « Poinçonneur des Lilas », promettait d’être original. Parce que sa vie ne fut pas banale : l’enfant juif qui commence sa vie à Paris sous l’occupation nazie en portant l’étoile jaune (déjà de façon provocatrice : en l’arborant comme une étoile de shérif) devient après-guerre non pas le peintre de ses rêves mais l’auteur-compositeur fétiche et l’amant de Juliette Greco, Brigitte Bardot et autres Jane Birkin, avant de s’imposer dans les années 1980 comme une improbable rock star qui remplit les salles entre deux coups d’éclat médiatiques. Mais aussi parce que le réalisateur de ce film ambitieux est inattendu : le dessinateur Joann Sfar, qui n’était jamais passé derrière la caméra jusqu’ici.

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Double cynique

Le résultat, très honorable, laisse cependant sur sa faim. Malgré une louable tentative de casser le récit convenu du parcours d’un artiste talentueux en introduisant dans les séquences « réalistes » un personnage dessiné supposé être un double cynique du héros, le film conserve pour l’essentiel une trame très classique, racontant chronologiquement tous les moments essentiels de la vie du « héros ». Et (c’est un comble vu ce choix judicieux de présenter un personnage double…) le côté provocateur ou grossier de Gainsbourg – son côté « Gainsbarre », comme il le nommait lui-même – est presque toujours minoré sinon ignoré. Or ce sont pourtant aussi ses comportements déviants qui ont justifié l’attention que le public lui a portée. Et qui ont donné au personnage une telle dimension. Suscitant un immense scandale en brûlant un billet de 500 francs en direct à la télévision, il en disait autant ce jour-là sur la place de l’argent dans les sociétés occidentales modernes que sur sa désinvolture. Et sa fameuse version reggae de La Marseillaise ne ruinait-elle pas par avance certains débats hypocrites sur l’identité nationale ? Dommage que le film n’en rende guère compte. Ou beaucoup trop sagement.

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