Bande dessinée : de Mayotte à Angoulême
Peu évoquée par le neuvième art, l’émigration des Africains vers l’Europe nourrit le récit de deux albums sélectionnés par le Festival international de la BD.
Nominés pour le prix du meilleur album au Festival international de bande dessinée d’Angoulême, en France, Droit du sol, de Charles Masson, et La Jeune Fille et le Nègre, de Judith Vanistendael, à mi-chemin entre la fiction et l’autobiographie, abordent un sujet peu traité en BD : l’émigration des peuples africains vers l’Europe.
Histoire d’amour pleine d’émotion
Charles Masson a passé de nombreux mois à Mayotte, collectivité départementale française dont le statut et la richesse attirent les candidats à l’émigration. Médecin de profession, il s’est servi de son expérience pour dessiner Droit du sol. En quelque 400 pages, il dresse le portrait de ce territoire à part, où s’échouent aussi bien des clandestins prêts à tout que des hommes blancs paumés dont l’argent attire les bonnes grâces de pauvres jeunes filles et leur donne l’impression d’être aimés.
Avec La Jeune Fille et le Nègre, Judith Vanistendael se situe quant à elle dans un tout autre registre. Derrière le titre volontairement provocateur se cache une histoire d’amour pleine d’émotion inspirée de sa propre expérience. Sophie, jeune femme belge aisée, tombe amoureuse d’un Togolais en attente de l’asile politique. Face aux difficultés qu’il rencontre, elle décide de se marier avec lui. Réaction mitigée des parents qui ont du mal à cacher leurs préjugés racistes, naïveté d’une jeune fille de 19 ans qui veut changer le monde… Judith Vanistendael pose avec beaucoup de finesse les sentiments des différents protagonistes.
Dénoncer
Très précises dans leur analyse, dessinées d’un trait souple en noir et blanc qui en renforce le réalisme, ces deux BD ne sont pas uniquement des témoignages touchants, parfois tragiques, parfois drôles… « Avant 2005, explique Charles Masson, Mayotte était une île où le métissage fonctionnait. Les clandestins s’installaient et finissaient par avoir des papiers. Puis on a commencé à les renvoyer, ce qui a engendré des situations terribles. Droit du sol est une critique de cette politique aberrante. » Pour Judith Vanistendael aussi, au-delà de cette histoire d’amour, « il y avait la volonté de montrer l’attente que fait subir l’administration aux demandeurs d’asile. Cela dure des années, au cours desquelles le réfugié ne peut ni travailler ni quitter le territoire, le menant à un état de quasi-dépression. Dans le fond, conclut-elle, cela tuerait n’importe quel couple… » Droit du sol et La Jeune Fille et le Nègre sont aussi deux récits engagés qui montrent que la BD peut interroger avec talent la réalité.
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