Mounir Fatmi

Artiste plasticien exposé dans les plus grands musées du monde, ce Marocain a commencé dans une agence de publicité. Avant la provocation… puis la gloire.

 © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

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Publié le 28 janvier 2010 Lecture : 5 minutes.

La Joconde a la tête à l’envers et un mouton lui mange les mains. Au marché aux puces de Tanger, au milieu d’un bric-à-brac d’objets de seconde main, le petit Mounir Fatmi découvre, par l’intermédiaire d’une reproduction, le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci. « Cela a été mon premier choc artistique. Comment vouliez-vous qu’après ça je devienne un peintre classique ? » s’amuse-t-il à commenter.

Si vous aimez les aquarelles, les natures mortes ou les bustes de marbre, passez votre chemin ! À la fois vidéaste, photographe, peintre et sculpteur, Mounir Fatmi (www.mounirfatmi.com) est un artiste insaisissable. Animé d’une insatiable curiosité, il travaille sur la base d’archives, de photographies ou même d’articles de journaux. Ses œuvres sont pour la plupart des installations mystérieuses, construites à partir de cassettes VHS, de câbles ou d’obstacles d’équitation. Déconcertantes, elles sont autant de métaphores de notre époque. Violentes, habitées, elles livrent une vision du monde grave et poétique.

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Anticonformiste

Mounir Fatmi reçoit dans son studio de la banlieue parisienne. C’est là qu’il travaille, malgré le vacarme de la salle de jeux vidéo clandestine installée dans la pièce voisine. « C’est un peu rock’n’roll », avoue-t-il… et on se dit que ça lui va bien. Car s’il est classé 356e dans la liste des 500 artistes les mieux cotés du monde, avec des œuvres qui se vendent entre 40 000 et 50 000 euros, il semble avoir résisté aux sirènes de l’embourgeoisement. Ses galeristes l’appellent de New York et de Los Angeles, ses œuvres ont été couronnées de prix prestigieux, et pourtant, il continue à travailler de manière artisanale. « Heureusement qu’il y a des gens derrière moi pour me raisonner et mettre des limites à mes ambitions, sinon je deviendrais cynique ou dépressif. »

Mounir Fatmi n’a jamais rien fait comme les autres. À 4 ans, il sait déjà qu’il veut être artiste peintre. Pourtant rien, dans son quotidien d’enfant, ne vient nourrir cette vocation. Son père coursier et sa mère femme au foyer sont aux prises avec les soucis du quotidien. Il faut nourrir et élever cinq filles et deux garçons. « Chez moi, on trouvait peu d’objets liés à la culture. Il y avait un dictionnaire, qui passait de mains en mains dans le quartier. Le Coran se trouvait sur une étagère, mais nous n’étions jamais assez purs pour le toucher. Et puis au mur était accrochée une photo du roi. Pendant longtemps d’ailleurs, j’ai cru que c’était quelqu’un de la famille », reconnaît-il avec une certaine impertinence.

Pour cet artiste en herbe, le Tanger des années 1970 est un monde fascinant. S’y côtoient les derniers tenants de la beat generation, dont le célèbre écrivain Paul Bowles. Pourtant, c’est son oncle, un peintre en bâtiment, que le jeune Mounir prend pour modèle. « Il avait toujours une cigarette au bec et de la peinture sous les ongles. Il a vécu seul toute sa vie. C’était un homme très beau et surtout très libre », raconte-t-il. Cette liberté, Mounir Fatmi en a incontestablement hérité. À 17 ans, sans même avoir attendu d’obtenir son bac, il s’inscrit aux Beaux-Arts de Casablanca. Insatisfait, il quitte l’école au bout de trois mois. Il s’envole alors pour Rome et intègre l’Académie des beaux-arts. Là encore, il est déçu. « L’Académie était trop classique. Tous les élèves se sont mis à dessiner de la même façon. Au bout de quelques mois nous étions tous capables de faire des copies de grands maîtres. » Adieu Rome, et retour à la case Casablanca.

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« Peint, effacé »

Bon dessinateur, il entre dans une agence de publicité comme simple graphiste. Six ans plus tard, au terme d’une ascension fulgurante, il en est devenu le directeur artistique. « J’ai beaucoup appris sur la façon dont on manipule les images. J’ai compris qu’on fabriquait tout et qu’on pensait à la place des gens. Or c’est précisément ce que j’évite de faire dans mon travail. » Là encore, le confort matériel de la vie de salarié ne suffit pas à le retenir et il quitte la publicité pour reprendre sa vie d’artiste.

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Ses premiers tableaux, exposés en 2003 à Casablanca, remportent un franc succès. Il reçoit même le prix de la jeune peinture. « Quand j’ai entendu ces petits-bourgeois dire de mon travail que c’était “très intéressant”, j’ai eu peur. J’ai donc décidé d’effacer toutes mes toiles. » Il recouvre chaque toile d’une couche de blanc et titre « Peint, effacé ». La presse marocaine se déchaîne et insulte celui qui était jusque-là « un des meilleurs espoirs de la peinture nationale ».

Mounir Fatmi pèche-t-il par excès d’orgueil ? Est-il un incurable velléitaire ? Non, c’est une véritable éponge. Il s’imprègne de tout ce qui l’entoure. « Je vis dans l’urgence. Je n’ai pas le temps pour les “j’aurais dû” » explique-t-il. Le confort l’angoisse, le sentiment du devoir accompli lui est étranger. Il ne se laisse enfermer dans rien, même pas dans son identité. « De toute façon, aux États-Unis, je suis un artiste français, parce que la french touch fait vendre. Et en France, je suis un artiste issu de l’immigration. » Ni nationaliste ni bêtement patriote, c’est un nomade assumé qui ne se sent jamais aussi bien que dans les hôtels et les aéroports.

Conscience politique

Mounir Fatmi se reconnaît pourtant une conscience politique. « Quand on vient d’un pays arabe, on ne peut pas ne pas en avoir. Quand vous voyez les catastrophes qu’a engendrées la politique dans nos pays, ça ne peut pas laisser indifférent. » Il se décrit d’ailleurs comme « un romantique révolutionnaire, naïf et prétentieux ». S’il n’était pas naïf, comment aurait-il pu imaginer tourner un remake du célèbre film Sleep, d’Andy Warhol, avec Salman Rushdie pour acteur principal ? À ce jour, il n’a pas réussi à convaincre l’auteur, mais il ne désespère pas de reconstituer le personnage en 3D. Et s’il n’était pas prétentieux, il ne serait sans doute pas parvenu à convaincre les Black Panthers, dont la paranoïa est légendaire, de lui vendre des archives et des enregistrements du FBI pour son œuvre Out of History, commencée en 2006.

Aujourd’hui, son rêve serait de monter un opéra. Cinq cosmonautes musulmans d’obédiences différentes chanteraient en arabe pour se partager les territoires d’une planète vierge. « Mais ça représenterait au moins deux ans de travail et un coût énorme. Je suis un peu fatigué de chercher des fonds. À part si je gagne au loto, il y a peu de chances que le projet se réalise tel que je l’ai imaginé. »

Même si on lui a souvent répété que cela ne se faisait pas, Mounir Fatmi est un artiste qui n’a pas peur de parler d’argent. « Il y a quelque temps, quelqu’un m’a dit : “C’est drôle, maintenant on peut soit acheter un petit appartement, soit une voiture, soit une œuvre de toi”. »

Le programme de Mounir Fatmi est plein jusqu’en 2013. En ce moment, il expose à la Galerie Hussenot, à Paris (« Seeing is Believing », jusqu’au 20 février 2010). Une de ses futures œuvres comportera des obstacles tenus à bout de bras par des individus de différentes tailles. Pas étonnant pour cet homme à qui seules les barrières semblent donner envie d’avancer.

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