Haïti : Pat Robertson et le divin courroux
« Quelque chose a eu lieu, il y a longtemps en Haïti, dont tout le monde évite de parler. Les esclaves étaient sous le joug des Français, vous savez, Napoléon III ou je ne sais qui. Ils se sont réunis et ont conclu un pacte avec le diable. Ils ont dit : « Nous vous servirons si vous nous libérez des Français. » Alors, le diable a dit : « OK, marché conclu. » Les Haïtiens se sont révoltés et ont chassé les Français. Depuis, une malédiction s’acharne sur eux. »
Contrairement aux apparences, l’auteur de ces propos n’est pas un aliéné échappé d’un asile (précisons que Napoléon III est né en 1808, dix-sept ans après le soulèvement des esclaves haïtiens). Pasteur baptiste, entrepreneur prospère et homme politique de premier plan (il fut candidat à l’investiture du Parti républicain pour la présidentielle de 1988), Pat Robertson, 80 ans, est le plus célèbre télévangéliste des États-Unis et l’un des hérauts de la Christian Coalition, la droite chrétienne ultraconservatrice. Dans The 700 Club, son show hebdomadaire sur Christian Broadcasting Network (CBN), il fulmine sans fin ses anathèmes. Contre l’homosexualité et l’avortement, qu’il juge indirectement responsables de l’ouragan Katrina et des attentats terroristes – on ne badine pas avec le divin courroux ! Contre le Vénézuélien Hugo Chávez, qu’il suggère d’assassiner en douce plutôt que de déclencher une coûteuse guerre contre lui. Voire contre le pourtant peu pacifique Ariel Sharon, à qui, en bon sioniste chrétien qu’il est, il ne pardonne pas d’avoir ordonné le retrait de Tsahal de la bande de Gaza.
Oh certes, ceux-là se moquent comme d’une guigne des imprécations du révérend. Mais les rescapés de l’apocalypse, à Port-au-Prince ? Robertson est peut-être bien fou, après tout, mais sûrement pas au point d’oublier les intérêts de sa boutique. Majoritairement catholiques, les Haïtiens n’en manifestent pas moins une forte inclination pour le vaudou. Mais entre 10 % et 15 % d’entre eux ont déjà cédé aux sirènes évangéliques. Combinées avec une aide humanitaire massive, ces exhortations à craindre la vengeance de Dieu pourraient ne pas rester sans effet.
