Haïti : le président et son double
Longtemps considéré comme une créature de Jean-Bertrand Aristide – son prédécesseur –, René Préval avait fini par s’en émanciper. En réussissant à rétablir l’ordre, il semblait avoir gagné son pari. Jusqu’au séisme…
C’est Michèle Pierre-Louis, l’ancienne Première ministre, qui raconte l’anecdote. La scène se passe à Port-au-Prince, cinq jours après le séisme. Au milieu des décombres, le gouvernement – ou ce qu’il en reste – se réunit pour la première fois. René Préval semble plus seul que jamais. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » lâche-t-il, devant ses ministres médusés. Et ces derniers de lui répondre : « Mais c’est vous qui devez décider ! » Commentaire de Mme Pierre-Louis, dont le président a dû se séparer, en novembre 2009, après sa destitution par les sénateurs : « Je ne veux pas qu’on pense que je suis aigrie, mais il est évident qu’il y a une absence de leadership. »
Il est comme ça, René Préval : discret. « Ce n’est pas un homme de communication, estime l’un de ses amis, qui tient à rester anonyme. Il a toujours peur de faire des promesses qu’il ne pourra pas tenir. » Car ce qui lui est reproché depuis le séisme est aussi l’une de ses principales qualités. « Il ne parle pas pour ne rien dire. S’il s’est adressé à la communauté internationale avant de parler à son peuple, c’est parce qu’il est conscient que rien ne sera possible sans l’aide étrangère. »
Retour à Marmelade
À la fin de son premier mandat, en 2001, Préval, qui est diplômé en agronomie, était retourné à ses premières amours, le travail de la terre, dans sa province de Marmelade. En 2005, quelques mois avant l’élection présidentielle, il avait fallu que les Haïtiens eux-mêmes lui forcent la main. « J’ai essayé de me défiler, ils m’ont traité de « traître », alors, j’ai fini par me présenter », révélait-il en février 2006. « Préval n’a jamais eu d’ambitions en politique », dit son ami. D’ailleurs, confirme l’universitaire Fred Reno, « il n’est entré en politique qu’assez tardivement ». Il y baignait pourtant depuis sa plus tendre enfance.
Né en 1943 dans le nord d’Haïti, il vit son père, un ancien ministre du président Paul Magloire, fuir la répression de François Duvalier, le sinistre « Papa Doc ». Lui-même quitte le pays au début des années 1960. L’exil dure une bonne décennie : études en Belgique, puis petits boulots aux États-Unis.
À son retour au pays, en 1975, il intègre la fonction publique, avant de créer… une boulangerie. À l’époque, Préval n’a pas seulement « l’allure d’un intellectuel de gauche », comme le présentent les journalistes. Il en est vraiment un. Militant du Mouvement d’action démocratique, il s’implique aussi dans le tissu associatif. C’est là qu’il rencontre Jean-Bertrand Aristide. La complicité avec ce dernier, qui n’est encore qu’un curé aux sermons incisifs, est immédiate. Rapidement, on les considère comme des marassas (« frères jumeaux », en créole). « Aristide l’a impressionné, note Reno. Pourtant, tout semble les séparer. Aristide, c’est un volcan en permanente éruption. Préval, c’est de l’eau toujours tiède. »
En 1991, après son élection à la présidence, le premier nomme le second à la primature. « Préval était alors un inconnu, se souvient Reno. Certains opposants en ont conclu qu’il n’était que la créature d’Aristide » – une image qui lui collera longtemps à la peau.
Pont sur la rivière
En septembre 1991, après le putsch militaire, les deux hommes prennent la fuite ensemble. Ils reviennent, toujours ensemble, en 1994, après l’intervention des troupes américaines. Deux ans plus tard, Aristide ne pouvant se présenter à la présidentielle, c’est, logiquement, son marassa qui le supplée. « Préval est le pont qui permettra de traverser la rivière », disent les partisans de l’ancien prêtre catholique. Comprendre : c’est une transition en attendant le retour d’Aristide. La parenthèse est délicate. Préval applique les directives du FMI : libéralisation, privatisations… Il engage aussi une réforme agraire et développe le réseau routier. Mais les partisans d’Aristide sabotent son action. « Ne faites pas de moi ce que je ne suis pas : un dictateur », lance Préval aux députés qui refusent de valider sa politique. En 2001, à la fin d’un mandat marqué par l’instabilité, il quitte la scène politique. Aristide revient aux affaires. Pour le pire…
Jamais Préval n’a publiquement dénoncé la dérive de son « frère jumeau », obligé de fuir le pays en 2004 sous la pression de Washington et de Paris. Après sa réélection en 2006, dès le premier tour, il répète qu’il n’empêchera pas son ancien compagnon de rentrer au pays. « C’est un pion d’Aristide », accusent ses opposants. Ils se trompent. Il aura fallu du temps à Préval pour « tuer le frère », mais « il a fini par s’émanciper », assure son ami.
En 2007, il engage contre les Chimères, ces bandes armées fidèles à Aristide, une véritable guerre. Avec l’aide de la Minustah, la mission onusienne, l’État réinvestit les quartiers jadis « interdits ». Des milliers d’hommes armés sont emprisonnés. C’en est fini, croit-on dans les capitales étrangères, des dictateurs fous. Dès son élection, il forme un gouvernement de coalition. Perçu comme un « technocrate intègre », qui, selon un cadre du Pnud, « ne s’encombre pas d’idéologie », il peut compter sur des soutiens multiples. Celui des États-Unis, bien sûr, mais aussi de Cuba et du Venezuela.
Avant le séisme, il semblait en passe de gagner son pari : rétablir un semblant d’État. Mais depuis le 12 janvier, « on repart de zéro, note Reno, et il est certain que le président va être confronté à une très lourde tâche ». Est-il l’homme de la situation ? « Il n’a pas le profil d’un dictateur, ni même celui d’un leader », lit-on sur les forums fréquentés par les Haïtiens. « Je ne suis pas un politicien. Les gens le savent et disent : « Préval travaille, les autres parlent » », se défendait-il par avance, en 2006.
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