Abdelaziz et la seconde chute d’Ould Taya
Depuis son arrivée au pouvoir, Mohamed Ould Abdelaziz s’emploie, du moins dans le discours, à déconstruire l’héritage de celui qu’il a renversé en août 2005. Et dont il a été l’homme de confiance pendant de longues années.
Finie, la gratuité de l’eau et de l’électricité, finis, les appartements et les berlines gracieusement offerts ! À partir de juillet 2010, les fonctionnaires mauritaniens ne pourront plus vivre aux crochets de l’État. Le ministre des Finances, Ousmane Kane, a annoncé, le 14 janvier, de sérieuses restrictions de leurs avantages. Objectif : mettre fin au pillage organisé du bien commun. Des agents introuvables dans les administrations, des retraités centenaires et d’anciens ministres profitent encore largement des conventions de logement passées par l’État avec des propriétaires immobiliers. Des aberrations similaires sont relevées pour les véhicules et les factures de la Sonelec (Société nationale d’eau et d’électricité).
La promesse d’un grand ménage n’est pas une surprise. Au lendemain de son putsch, le 6 août 2008, puis durant la campagne présidentielle qui a conduit à son élection, en juillet 2009, l’ex-général Mohamed Ould Abdelaziz a fait de la « lutte contre la gabegie » le leitmotiv de tous ses discours. En Mauritanie, l’expression renvoie implicitement à un système de dépeçage de l’État, où les marchés publics sont attribués en fonction de critères tribaux, la fidélité au pouvoir achetée à des notabilités locales, les entreprises publiques cédées à « des personnes bien indiquées », selon un homme politique. « Lutte contre la gabegie » : la formule désigne aussi un homme, Maaouiya Ould Taya, au pouvoir de 1984 à 2005. C’est sous son règne que ce système – qu’il n’a pas créé ex nihilo – a été encouragé et pérennisé.
Tuer le père
« Aziz » ne cite jamais son nom, mais c’est l’héritage de ce colonel, aujourd’hui en exil au Qatar, qu’il promet aux Mauritaniens de déconstruire. Pendant près de vingt ans, il en a pourtant été le vigile zélé. Chargé de créer le Bataillon de la sécurité présidentielle au lendemain du putsch de 1984, il restera à la tête de cette garde prétorienne jusqu’en août 2005. Il déjoue alors plusieurs tentatives de coup d’État contre Ould Taya. Ce dernier le juge loyal et, malgré les mises en garde de son entourage, lui accorde toute sa confiance. Il reste incrédule en apprenant, le 3 août 2005, le nom des auteurs du putsch qui, cette fois, a raison de lui : Mohamed Ould Abdelaziz et Ely Ould Mohamed Vall, directeur de la Sûreté à l’époque.
Aujourd’hui, c’est un peu comme si Aziz continuait de tuer le père. En décembre dernier, Mohamed Ould Noueigued, Chérif Ould Abdallahi et Abdou Maham, des hommes d’affaires très en vue à Nouakchott, sont écroués à la prison centrale pour « transferts illégaux ». Ils sont accusés d’avoir bénéficié de versements de la Banque centrale de Mauritanie, en 2001 et 2002. Après vingt-cinq jours derrière les barreaux, ils sont libérés à la faveur d’un arrangement, sans intervention de la justice .
« L’affaire des hommes d’affaires » ne s’inscrit pas dans le cadre d’un programme prédéfini d’assainissement de la vie économique. Aucune étape, aucune méthode n’a été annoncée. « Il ne s’agit pas de lutte contre la corruption, déplore un haut fonctionnaire. L’ampleur de la gabegie est telle qu’il faudrait un plan bien ficelé qui vise le moyen et le long terme. » Selon un observateur de la politique mauritanienne, l’épisode donne plutôt l’impression que « l’exécutif a voulu faire un coup ». À Nouakchott, Mohamed Ould Noueigued, Chérif Ould Abdallahi et Abdou Maham sont considérés comme trois symboles de l’ère Ould Taya et de ses dérèglements. Tous les trois sont réputés lui avoir apporté leur soutien pendant ses campagnes électorales. C’est durant son long séjour au pouvoir qu’ils ont parachevé la construction de leur empire économique. Ces figures inquiétées, le chef de l’État passe pour iconoclaste. « Ces arrestations ont provoqué un électrochoc, estime Kane Hamidou Baba, député et candidat à la présidentielle de juillet 2009. Beaucoup de personnes étaient perplexes quant à la possibilité de demander des comptes aux hommes d’affaires. »
Mohamed Ould Abdelaziz prend souvent le contre-pied de celui qu’il protégea pendant des années. En janvier 2009, il annonce la rupture des relations diplomatiques avec Israël, qu’Ould Taya avait nouées dix ans plus tôt en dépit de l’indignation d’un peuple solidaire avec les « frères palestiniens ». En mars, il se rend à Kaédi, dans la vallée du fleuve Sénégal, pour prononcer un discours jugé « historique » par la communauté négro-mauritanienne. Cette dernière a été particulièrement meurtrie par le racisme d’État en vigueur sous Ould Taya, qui a culminé au tournant des années 1980 avec toutes sortes d’exactions, surtout dans l’armée et dans l’administration. Un grand nombre de Négro-Mauritaniens avaient dû fuir au Sénégal et au Mali. Ils ont depuis été rapatriés. Le ton grave, Aziz évoque « l’affliction causée à des dizaines de familles par l’ignorance et la barbarie de l’homme » et, dans la foulée, assiste à une grande prière à la mémoire des victimes. De quoi faire oublier les premiers gestes du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi – renversé le 6 août 2008 par Aziz –, à l’origine de la repentance nationale.
Plus proche du peuple
« Maaouiya Ould Taya gommait toute référence à cette question, on ne pouvait en parler qu’en chuchotant, se souvient Kane Hamidou Baba, lui-même membre de la communauté négro-mauritanienne. Aziz, lui, a fait son discours dans la Vallée des larmes. » Mais, selon plusieurs témoignages, les paroles n’ont pas suffisamment été suivies d’effets. « Le processus d’indemnisation et de rapatriement n’avance pas beaucoup, estime Ibrahima Diallo, membre des Forces de libération des Africains de Mauritanie. Dans certaines zones, les rapatriés et ceux qui se sont approprié leurs terres sont à couteaux tirés. »
C’est surtout dans le discours et la méthode qu’Aziz diffère de Maaouiya Ould Taya. Par une visite inopinée dans une salle de classe ou dans un hôpital public, Mohamed Ould Abdelaziz a pris l’habitude d’entrer en contact direct avec le peuple quand son prédécesseur utilisait des relais – chefs de tribu, notables locaux. Mais sur le fond, « il ne déconstruit pas, il recycle », nuance l’opposant Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces de progrès (UFP). Décisions soudaines, absence de consultations, concentration des pouvoirs : pour Ould Maouloud, les pratiques sont restées « personnelles et autoritaires ».
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