Coup de torchon à N’Djamena
Hauts fonctionnaires, parlementaires et, bientôt, membres du gouvernement… La traque anticorruption engagée en 2009 par les autorités s’intensifie.
« Nous avons décidé au cours de l’année qui s’achève de tirer la sonnette d’alarme sur les gaspillages et les détournements de biens publics. Je vous promets que la pression sera maintenue en 2010 », avait assuré le chef de l’État tchadien, Idriss Déby Itno, le 31 décembre dernier. Promesse tenue.
Dès le 11 janvier, Mahamat Zene Bada, maire de N’Djamena, son deuxième adjoint, le secrétaire général, le directeur technique, le directeur administratif, le receveur et l’agent comptable de la mairie ont été écroués pour malversations financières. Un rapport d’inspection du ministère du Contrôle d’État et de la Moralisation, rattaché depuis peu à la présidence de la République, accuse l’édile d’avoir soustrait 300 millions de F CFA (457 000 euros) d’un compte bancaire de la ville et d’avoir contribué à faire disparaître la bagatelle de 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros) des caisses de la mairie, entre 2006 et 2009. La mise sous les verrous de Mahamat Zene Bada, cadre du Mouvement patriotique du salut (MPS, le parti au pouvoir), qui clamait urbi et orbi sa très grande proximité avec Déby Itno, est le signe que nul ne sera épargné. Une procédure est d’ailleurs en cours pour traduire trois membres du gouvernement devant la Haute Cour de justice.
Manuels scolaires et mains sales
En cause : un énorme scandale qui a éclaté il y a quelques mois. L’affaire est partie d’une enquête de la police judiciaire, à la suite d’une fuite orchestrée par un cadre du ministère de l’Éducation nationale. Le ministère du Contrôle d’État et de la Moralisation, qui s’en est saisi, a découvert de graves irrégularités dans la passation d’un marché de fourniture de matériel scolaire d’un montant de 2 milliards de F CFA. Épinglés, une quarantaine de cadres des ministères de l’Éducation nationale et des Finances, du secrétariat général du gouvernement et du secrétariat général à la présidence ont été emprisonnés.
Le secrétaire général à la présidence, Haroun Kabadi, a été mis aux arrêts fin octobre. Plusieurs fois ministre et même Premier ministre, cette grande figure du Mouvement patriotique du salut, dont il assurait la présidence par intérim au moment des faits, était l’un des baobabs de l’entourage de Déby Itno. Soupçonné d’avoir touché un pot-de-vin pour fermer les yeux sur les vices de procédure dans la passation du marché, il a été lâché par le chef de l’État, entraînant dans sa chute le député Mahmat Tahir Akhil, qui lui aurait remis de l’argent reçu du fournisseur de matériel scolaire.
Partie émergée de la lutte contre la délinquance financière
Akhil avait réussi à amener ses collègues de l’Assemblée nationale à rejeter une première demande de levée de son immunité parlementaire. Celle-ci allait toutefois sauter, le 19 janvier, à la suite d’une nouvelle demande de la justice.
Six ministres ont été auditionnés dans le cadre de cette affaire. Trois d’entre eux – dont les noms sont pour l’heure couverts par le secret de l’instruction – attendent d’être traduits devant la Haute Cour de justice pour malversations financières.
Si leur cas attire davantage les projecteurs, il n’est que la partie émergée de la lutte contre la délinquance financière. À Abéché, dans l’est du pays, le préfet, le secrétaire général de région et le responsable du magasin de l’Office national de la sécurité alimentaire sont sous les verrous. Tout comme le maire de Sarh, la troisième ville du pays. Le directeur de cabinet du ministère de l’Agriculture a été écroué à la suite de la disparition d’engrais entre le Tchad et le Cameroun. Des responsables du Programme national de lutte contre le sida ont connu le même sort, pour « réception fictive » d’antirétroviraux écoulés sur le marché international… Déby Itno semble résolu à traquer les bandits à col blanc. Ira-t-il jusqu’au bout, dans un pays où tout finit toujours par « s’arranger » ?
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