L’Afrique selon Jean Ping

Guinée, Côte d’Ivoire, Madagascar, Gabon, Kadhafi, la gouvernance, ses relations avec les chefs d’État… À la veille du 14e sommet de l’Union africaine, le président de la Commission s’est confié à Jeune Afrique.

Le président de la Commission de l’UA, à l’hôtel Prince de Galles à Paris, le 14 janvier © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

Le président de la Commission de l’UA, à l’hôtel Prince de Galles à Paris, le 14 janvier © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

MARWANE-BEN-YAHMED_2024

Publié le 30 janvier 2010 Lecture : 16 minutes.

Paris, mi-janvier. À quelques jours du 14e Sommet de l’Union africaine (du 25 janvier au 2 février à Addis-Abeba) dont il préside la Commission, le Gabonais Jean Ping, 67 ans, nous a accordé un long entretien. Il vient seulement de poser ses valises dans son pied-à-terre parisien du 8e arrondissement qu’il sait qu’un nouveau marathon aérien l’attend. En moins de quinze jours, il doit enchaîner Libreville/Paris/Washington/New-York/Tripoli/Le Caire/Paris/Addis/Antananarivo avant de regagner ses pénates éthiopiens où l’attend un ordre du jour des plus chargé : Guinée, Côte d’Ivoire, Madagascar, Soudan, Somalie, évolution de l’organisation panafricaine… Sans oublier les habituelles Kadhafiades sans lesquelles un sommet de l’UA n’aurait pas la même saveur.

Personnage incontournable de la diplomatie africaine, ce métis sino-gabonais qu’Omar Bongo Ondimba (OBO) appelait parfois « Mao », a connu tous les postes aux côtés du « Vieux » : dix-sept ans sans discontinuer au gouvernement, un record. Il faisait partie du premier cercle de l’ex-doyen africain, a épousé sa fille Pascaline (ils sont aujourd’hui séparés), « chaperonné » un temps son fils Ali, futur ministre des Affaires étrangères et actuel chef de l’État. Élu en février 2008 à la tête de la Commission de l’Union africaine grâce, en grande partie, à l’influence de son mentor, Jean Ping s’apprête à fêter ses deux ans à la tête de l’organisation panafricaine. Et à vivre son premier sommet sans OBO. Courtois, intarissable et jovial, il a répondu à toutes nos questions. À sa manière, c’est-à-dire en pesant chaque mot. Enfin presque…

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Jeune Afrique : Crises guinéenne et malgache, présidentielle ivoirienne, Soudan, Somalie, réforme de l’organisation… Le 14e sommet de l’Union africaine (UA), qui se tiendra à la fin de ce mois de janvier à Addis-Abeba, en Éthiopie, s’annonce chargé. Qu’en attendez-vous concrètement ?

Jean Ping : Ce sommet revêt une importance capitale à plusieurs titres, et pas uniquement en raison des multiples crises auxquelles nous sommes actuellement confrontés. D’abord, l’année 2010 sera celle d’un Mondial de football en Afrique. C’est une grande première, à la faveur de laquelle les projecteurs du monde entier seront braqués sur notre continent. Ensuite, une dizaine d’élections présidentielles auront lieu au cours de cette même année. Ce sont des processus toujours délicats. Enfin, nous aurons à débattre de notre propre évolution : transformer la Commission de l’UA en Autorité de l’Union, définir la nature, la composition et les mandats de cette Autorité. Le principe de cette évolution est acquis depuis le dernier sommet, à Tripoli. Reste cependant le plus difficile : se mettre d’accord sur son contenu. Je ne vous cache pas que les divergences entre chefs d’État sont nombreuses et que nous devrions encore une fois assister à de chaudes discussions… 

Croyez-vous réellement aux États-Unis d’Afrique ?

Oui, bien sûr. Qui pouvait imaginer, il y a quelques décennies, qu’un jour l’Union européenne (UE) existerait sous sa forme actuelle ? Malgré son histoire faite de conflits aboutissant à des guerres mondiales, cette région a su dépasser des problèmes que nous n’avons pas connus à une telle échelle. Aujourd’hui, nous marchons vers les États-Unis d’Afrique. C’est un impératif. Nos États, pris individuellement, sont invisibles et inaudibles sur le plan international. Quand nous parlons d’une même voix, c’est différent.

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Mais cet objectif lointain ne revient pas, comme j’ai pu l’entendre, à mettre fin à l’existence de nos États ou à porter atteinte à leur souveraineté. Il s’agit d’unir nos forces, après avoir réglé nos problèmes communs, avec une efficacité accrue et des moyens supérieurs, pour peser sur les grands débats qui concernent la planète tout entière. 

Lors du sommet d’Addis-Abeba, le Libyen Mouammar Kadhafi va transmettre la présidence en exercice à un chef d’État de l’Afrique australe, a priori le Malawite Bingu wa Mutharika. Compte tenu du style très interventionniste du « Guide » et de vos divergences de vues, notamment à propos des coups d’État, est-ce un soulagement ?

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Je n’ai pas d’états d’âme. Mon rôle consiste à travailler avec celui que les présidents africains ont désigné. 

Quel bilan tirez-vous de votre collaboration avec lui ?

Je retiens d’abord l’essentiel : c’est au cours de ce mandat que nous avons décidé de créer l’Autorité de l’Union, même si nous n’avons pas encore trouvé de consensus sur sa nature et ses moyens. En règle générale, les présidents en exercice interviennent assez peu. C’est normal. Contrairement à moi, ils ont d’autres chats à fouetter, un pays à diriger. Mouammar Kadhafi, lui, intervient beaucoup. C’est évidemment plus compliqué à gérer… 

Il manque un pays important au sein de l’UA, le Maroc. Comment s’y prendre pour l’y faire revenir ?

Très franchement, je ne vois pas très bien comment vous répondre. Le Maroc n’a pas été exclu – ce que d’ailleurs nos statuts ne prévoient pas, seule la suspension étant possible –, mais a décidé de se retirer en raison de l’entrée de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). La cause de ce retrait étant toujours présente, le retour du Maroc se heurte aux mêmes difficultés. 

Selon vous, était-ce une bonne décision d’accueillir la RASD au sein de l’OUA, à l’époque ?

Je ne me pose pas la question en ces termes. Cette décision a été prise à la majorité des États. Il n’y avait pas lieu, pour un secrétaire général de l’OUA à l’époque, tout comme il n’y a pas lieu pour le président de la Commission aujourd’hui, d’émettre un jugement sur son bien-fondé. 

Lors de votre élection, il y a maintenant deux ans, on vous a comparé à votre prédécesseur et ex-président du Mali, Alpha Oumar Konaré, qui n’hésitait pas à s’exprimer, quitte à froisser ses anciens pairs. Le statut d’ancien chef d’État est-il un avantage ou un inconvénient dans votre fonction ?

Cela dépend. Les relations d’amitié, voire de complicité que le président Konaré a pu tisser avec d’autres chefs d’État quand il était au pouvoir dans son pays constituent indéniablement un plus. Tutoyer et connaître vos interlocuteurs ouvre beaucoup de portes et facilite les discussions. Je ne dispose pas de cette facilité-là. Je ne peux ni ne dois me mettre au niveau des chefs d’État. Nous faisons la même chose, mais de manière différente. Cela me convient très bien. 

Vous déclariez à l’époque que vous parleriez moins et agiriez plus…

Prendre des positions sur tout, ce n’est pas mon genre. Effectivement, je parle moins. Mais j’interviens toujours autant. Quand il le faut, je publie un communiqué, dont chaque mot est pesé. Quant à l’action, je ne crois pas avoir chômé. On ne m’a pas laissé le choix : j’ai eu à gérer nombre de coups d’État en six mois !

Plus sérieusement, je crois que nous avons beaucoup travaillé. Qu’il s’agisse de paix et de sécurité, de développement, de respect de la démocratie ou des droits de l’homme, de lutte contre les prises du pouvoir par la force… Nous avançons. L’Afrique progresse d’ailleurs plus qu’on ne le pense dans ce dernier domaine : les coups d’État – qui ne sont pas notre apanage, il suffit de voir ce qui s’est passé au Honduras, à Fidji ou en Thaïlande – ne sont plus une fatalité, ni une simple formalité pour leurs auteurs, qui doivent rendre des comptes, négocier, font l’objet de pressions, sont menacés de sanctions automatiques, etc. Il est de moins en moins facile d’enfreindre nos règles, et l’impunité n’est plus de mise. En conclusion, je crois que l’on agit mieux dans la discrétion. Donc moins l’on parle, mieux cela vaut. 

Le siège de l’UA se trouve à Addis-Abeba. En Éthiopie, développement ne rime pas vraiment avec démocratie et droits de l’homme. Ne trouvez-vous pas cela pour le moins gênant ?

Nous ne sommes pas une institution supranationale qui intervient dans les affaires intérieures des États. Sauf, évidemment, avis contraire du Conseil de paix et de sécurité (CPS) et des chefs d’État, lorsque la situation requiert une intervention, comme en Guinée après les massacres du 28 septembre dernier. Cela n’empêche pas, dans le cas que vous évoquez comme dans d’autres, en toute discrétion, de tenter de convaincre untel d’assouplir sa position, d’empêcher qu’une situation politique tendue ne dégénère, de renouer les fils du dialogue. Les bons offices ne sont pas toujours connus du grand public… 

Ces dernières années, les processus électoraux ont fait l’objet de vives contestations, comme au Gabon, en septembre 2009. Le rôle des observateurs de l’UA est régulièrement critiqué. De quelle marge de manœuvre disposez-vous réellement en la matière ?

Contestation ne signifie pas automatiquement fraude. Dans tous les pays africains – je dis bien tous –, on assiste à ce phénomène après chaque élection. Cela ne signifie pas que les résultats ont été tronqués, cela ne signifie pas non plus que tout a été parfait. Il faut également préciser que nous ne sommes presque jamais seuls en tant qu’observateurs. Plusieurs organisations sont à nos côtés : UE, Francophonie, et d’autres. Les critiques ne devraient donc pas concerner la seule UA. Je vous assure que nous mettons tout en œuvre, avant, pendant et après les scrutins, pour assurer la meilleure surveillance possible. Ce qui nous a permis d’améliorer les processus électoraux. 

Autre tendance lourde, les modifications constitutionnelles destinées à faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Cette mode du « pouvoir à durée indéterminée » vous inquiète-t-elle ?

Évidemment. Mais ces situations sont extrêmement complexes pour nous. En cas de prise de pouvoir par la force, nos règles sont claires et s’appliquent automatiquement. En revanche, dans ce cas de figure, elles sont beaucoup moins précises. La Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR], par exemple, interdit les modifications constitutionnelles moins de six mois avant la fin du mandat. Dans le cas du Niger, qui a enfreint cette règle, nous avons donc suivi les recommandations de la Cedeao puisqu’elles existaient. Il y a eu des sanctions, des négociations sont toujours en cours. Mais chaque cas est différent. Et en l’absence de règles du jeu communes à tous, il est difficile d’intervenir. 

En matière de droits de l’homme et de démocratie, quels sont les pays qui vous inquiètent le plus ?

Ceux qui ont modifié l’ordre constitutionnel comme la Guinée ou Madagascar, ceux qui ont connu ou connaissent encore des conflits armés, comme au Darfour, en Somalie ou dans l’est de la RD Congo, ceux qui subissent de plein fouet un fléau comme le narcotrafic, à l’image de la Guinée-Bissau. 

Comment sortir de la crise malgache ?

Le cas malgache est très particulier. Il s’agit du soulèvement d’une partie de la population. Ensuite, une grande partie de l’armée a sympathisé avec ceux qui se sont soulevés et ont pris le pouvoir. Aujourd’hui, la seule manière de s’en sortir est de redonner aux Malgaches la possibilité de choisir leurs dirigeants à travers une élection transparente. Le premier accord, signé à Maputo sous l’égide du président Chissano, était très compliqué à mettre en œuvre. À Addis, les protagonistes malgaches ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur la composition d’un gouvernement, à seulement trois ou quatre postes près… Enfin, lors de la troisième rencontre, à Maputo, Andry Rajoelina a décidé de ne plus participer au processus. Il est donc revenu sur ses engagements. Il faut remettre tout le monde sur les rails pour aboutir à une seule chose : redonner la parole au peuple malgache. 

ONU, UA, Francophonie… N’y a-t-il pas trop de médiateurs dans cette affaire ?

À l’évidence, oui. C’est même un des problèmes majeurs. 

L’élection présidentielle ivoirienne a une nouvelle fois été reportée. Comment faire en sorte qu’elle se tienne cette année ?

Nous faisons confiance au médiateur qui a été choisi, le président burkinabè Blaise Compaoré. Lui-même n’a pas contesté ce report, au contraire. Au-delà de l’évidente déception que l’on peut ressentir de prime abord, je crois qu’il est capital d’obtenir un scrutin incontestable. Il restait trop d’électeurs potentiels dont la nationalité ivoirienne était à vérifier, près de deux millions avant la décision du report. Aujourd’hui, le médiateur nous assure que l’élection auront bien lieu cette année. 

Quel délai raisonnable accepter ?

Le problème de ces électeurs étant en voie d’être résolu, il n’y a plus d’obstacle majeur à la tenue de cette élection. Elle devrait donc, en toute logique, avoir lieu au cours du premier semestre 2010.

En Guinée, la mise à l’écart du capitaine Moussa Dadis Camara vous semble-t-elle définitive ?

Des engagements viennent d’être pris par l’intéressé et par le général Sékouba Konaté pour un retour à l’ordre constitutionnel après une transition rapide. C’est un très grand pas. Je ne vois aucune raison de douter de ces engagements. Mais cela ne nous dispense pas d’être vigilants. Car le véritable problème de la Guinée, c’est son armée. Pas uniquement untel ou untel. 

Et si Dadis décidait de revenir à la tête de la junte et de ne pas tenir parole, comme il a déjà pu le faire, notamment à propos de sa candidature à la présidentielle ?

Il ne reviendra pas au pouvoir. 

Vous semblez bien sûr de vous…

Disons que c’est ma conviction. 

Avalisez-vous le rapport de la commission d’enquête de l’ONU sur les massacres du 28 septembre 2009, qui accuse nommément, entre autres, Moussa Dadis Camara ?

Je ne vois aucune raison de le contester. 

Lors du sommet de Charm el-Cheikh, à la fin de juin 2008, l’UA a fait front pour soutenir le chef de l’État soudanais Omar el-Béchir contre la Cour pénale internationale (CPI), qui venait d’émettre contre lui un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour. Pourquoi ce soutien ?

Que les choses soient claires : nous ne mettons pas en cause le principe de la justice internationale. Ce que nous critiquons, c’est l’opportunité de cette décision, à ce moment précis et dans des circonstances précises. Il faut bien comprendre que le Soudan est une poudrière, et pas seulement en raison de ce qui s’est passé au Darfour. Croyez-vous une seconde qu’Omar el-Béchir va tranquillement attendre que l’on vienne l’arrêter ? Prendre une telle décision revenait à saper tous les efforts entrepris pour éviter le pire… 

On vous a aussi entendu critiquer une justice à deux vitesses.

C’est une évidence ! Il suffit d’examiner l’identité de ceux qui ont été traduits devant la CPI. Des Africains, uniquement des Africains ! Je veux bien que nous ayons notre lot de « criminels », mais pourquoi sommes-nous les seuls ? Ne s’est-il rien passé à Gaza, au Sri Lanka, en Colombie, en Tchétchénie ou en Géorgie, par exemple ? La dignité des Africains a suffisamment été bafouée au cours de l’Histoire. Oui, il y a une justice pour les faibles et une autre pour les puissants ! 

Votre discours, c’est un peu « laissez-nous laver notre linge sale en famille ». Pourtant, l’Afrique ne brille pas particulièrement de ce point de vue. Thomas Lubanga, Jean-Pierre Bemba, Hissène Habré… Si la CPI a pris en charge certains de ces cas, n’est-ce pas pour pallier les carences africaines ?

Je suis le premier à reconnaître nos immenses lacunes dans ce domaine. Je ne cherche pas à les nier. Le cas Hissène Habré est le plus flagrant. Nous avons mis en place des organes exécutifs et législatifs panafricains. Il manque le judiciaire : une cour de justice continentale. Ce constat, aussi amer soit-il, n’excuse pas une justice à deux vitesses. Au nom de quoi devrions-nous accepter ce que les autres refusent ? Pourquoi les Occidentaux, eux, n’acceptent-ils pas que leurs ressortissants soient jugés en Afrique s’ils y ont commis des crimes ? 

Que pensez-vous des procédures dites des « biens mal acquis » intentées en Europe contre des présidents africains ?

La même chose : notre objectif n’est pas de protéger des criminels ou des délinquants, mais de refuser cette justice à deux vitesses. On ne s’intéresse la plupart du temps qu’aux Africains. Pas aux Russes, ni aux Chinois, ni aux ressortissants du Moyen-Orient, par exemple. A-t-on la certitude que les millions qui ont servi à acheter une grande partie de la Côte d’Azur, de Paris ou tel ou tel club de football ont été bien acquis ? Encore une fois, nous ne contestons pas le principe d’une justice internationale, mais la méthode. 

L’UA a envoyé des forces de maintien de la paix au Soudan et en Somalie. Or on constate que, dans les deux cas, la situation ne s’améliore guère…

Je voudrais rappeler, en ce qui concerne la Somalie, que ce pays est dans la même situation depuis bientôt vingt ans. Les États-Unis et l’ONU y sont allés et sont repartis en catimini. Le Conseil de sécurité refuse de s’engager en Somalie depuis le tristement célèbre échec de l’opération « Restore Hope ». L’UA fait ce qu’elle peut, dans des conditions extrêmement difficiles. Ses hommes y sont seuls et certains y meurent. Maintenant que la piraterie maritime menace des intérêts occidentaux, on déploie une véritable armada dans la zone pour protéger les navires russes, européens ou américains. Les pirates sont-ils nés en mer ? Non, ils viennent de Somalie, où le chaos règne depuis deux décennies. C’est sur ce terrain qu’il faut agir. 

Que faire dans ces conditions ?

Nous aider, aider le gouvernement de transition, qui n’existerait même plus si nous n’étions pas à ses côtés pour le protéger. Il faut davantage de moyens matériels, humains et donc financiers. Avec seulement cinq hélicoptères de combat supplémentaires, la situation sur le terrain changerait beaucoup. L’UE nous aide un peu, mais c’est insuffisant. 

L’offensive économique massive de la Chine en Afrique suscite de nombreuses interrogations. Les Occidentaux reprochent aux Chinois de faire fi de la mauvaise gouvernance chez certains de leurs partenaires du continent et de réendetter les Africains alors qu’eux-mêmes procèdent à de nombreuses annulations de dette. Qu’en pensez-vous ?

Les Occidentaux voient d’un mauvais œil la concurrence chinoise. Mais en l’espèce, les leçons de morale ne valent pas grand-chose. L’Afrique a un besoin impérieux de partenaires. Or la Chine investit considérablement sur le continent. Quelles que soient ses arrière-pensées ou l’aspect critiquable de certaines de ses méthodes, elle, au moins, est présente à nos côtés. Elle s’installe là où les autres puissances refusent de venir. L’Europe et les États-Unis doivent être conséquents : ils sont nos partenaires traditionnels, compte tenu de l’Histoire, des langues, des valeurs partagées. Les Africains rêvent d’Europe ou d’Amérique, parlent le français, l’anglais, l’espagnol ou le portugais. Pas le chinois. Mais qui refuse nos étudiants ? Qui rechigne à s’engager en Afrique ? 

Vous êtes gabonais. Quel jugement portez-vous sur l’après-Omar Bongo Ondimba ?

La transition s’est déroulée en tous points conformément à la Constitution, sans accrocs. C’est suffisamment rare pour être souligné. Le scrutin lui-même a été correct. La tension est montée, de manière très vive et inquiétante, après les opérations de vote. Mais cette crise a été réglée par les autorités gabonaises elles-mêmes, sans heurts majeurs. Les différentes institutions ont joué leur rôle et un vainqueur a été proclamé puis investi. Si l’on tient compte des inquiétudes initiales – il faut quand même se souvenir que tout cela constituait une grande première au Gabon – le pays s’en est plutôt bien sorti. 

Que pensez-vous des premiers pas d’Ali Bongo Ondimba ?

J’ai été, comme tout le monde je crois, très agréablement surpris par les premières décisions du nouveau président. La plupart, comme la réduction du train de vie de l’État, la suppression d’une multitude de postes et d’avantages, l’interdiction du cumul des fonctions ou la rationalisation de la fonction publique, étaient attendues par la population. Encore fallait-il avoir le courage politique de les prendre. Se séparer de son plus proche collaborateur, son directeur de cabinet, après les révélations de Jeune Afrique dans l’affaire du scandale de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), c’était totalement inédit chez nous. Et peut-être aussi ailleurs… 

Quelles relations entretenez-vous avec le nouveau président ?

Elles sont cordiales. Nous nous connaissons bien et depuis longtemps. Mais maintenant, je ne l’appelle plus « Ali ». Je l’appelle « monsieur le président »… 

Avez-vous envisagé, comme cela a pu se dire, de vous présenter à l’élection présidentielle ?

Jamais, même si on m’y a fortement incité. D’abord, je n’en avais pas l’envie. Je suis très bien où je suis, je n’ai pas fini mon travail et je respecte mes engagements. Ensuite, même si je l’avais voulu, je savais que les conditions n’étaient pas réunies pour réussir : il faut de l’argent – même si j’en aurais sans doute trouvé –, un parti, des infrastructures et du temps pour se préparer. Enfin, j’avais dit au président Omar Bongo, il y a déjà longtemps, que le jour où il se retirerait de la politique, je me retirerais avec lui. 

Comment avez-vous vécu sa disparition ?

Ce fut extrêmement douloureux. Il m’a entouré de son affection tout au long de ma carrière. Il m’a toujours soutenu, je lui dois mon élection à la tête de la Commission, il était bon et généreux. C’est très difficile de voir disparaître tout cela. 

Dix-sept pays africains célèbrent cette année le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Quel bilan tirez-vous de ces cinquante ans écoulés ?

Il faut être franc, il est loin d’être flatteur. Je ne parle même pas de démocratie mais de gouvernance. La Chine n’est pas démocratique, mais elle avance. D’autres pays – comme la Corée du Sud ou la Malaisie – se sont développés sans démocratie à leurs débuts. La différence ? Des dirigeants éclairés… On peut considérer que les grandes puissances, qui nous ont imposé nombre de diktats, ne nous ont pas aidés. Que l’Occident a sa part de responsabilité dans ce constat. Mais les principaux responsables, c’est nous. 

De quoi l’Afrique a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ?

D’unité. Sinon, nous resterons condamnés à regarder le monde changer sans nous.

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