CAN-2010 : tous les coûts sont permis

En six ans, les droits de retransmission de la Coupe d’Afrique des Nations, qui se déroule cette année en Angola, ont atteint un niveau stratosphérique. Faute de pouvoir s’en acquitter, de nombreuses chaînes du continent ne diffusent pas les images de la compétition.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 29 janvier 2010 Lecture : 5 minutes.

Pas loin du milliard de francs CFA (1,3 million d’euros) ! C’est le montant que réclame LC2-Afnex aux chaînes de télévision nationales de chacun des pays de l’Afrique subsaharienne (hors Nigeria) qualifié pour la phase finale de la 27e Coupe d’Afrique des Nations (CAN 2010) pour accéder aux images de la principale compétition sportive du continent. Et encore s’agit-il d’un tarif obtenu à l’issue d’âpres négociations entre l’Union africaine de radiodiffusion (UAR), qui représente ces chaînes, et le groupe qui détient les droits de diffusion de toutes les compétitions de la Confédération africaine de football (CAF) de 2010 à 2016 dans les quarante-quatre pays de la région.

LC2-Afnex, via sa société CC Foot Ltd basée aux Bahamas et administrée par le Crédit Suisse Trust SA, réclamait initialement à ces chaînes 1,5 million d’euros. Une somme dix fois plus élevée que celle qu’elles doivent débourser pour la Coupe du monde 2010, et en hausse de 50 % par rapport au million d’euros fixé en 2006 et en 2008 pour les éditions égyptienne et ghanéenne.

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Pour cette CAN angolaise, le holding LC2-Afnex, propriété de l’homme d’affaires béninois Christian Enock Lagnidé, a divisé les pays de la zone en cinq groupes et fixé les tarifs selon leur « intérêt marketing ». Plus gros marché d’Afrique subsaharienne par sa population (150 millions d’habitants) et son potentiel publicitaire, le Nigeria a ainsi déboursé plus de 2 milliards de F CFA (3,5 millions d’euros). Pour le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Mali, dont les équipes se sont qualifiées pour la phase finale, le tarif est de 878,9 millions de F CFA (1,3 million d’euros). Enfin, pour les États non qualifiés, scindés en trois catégories selon leur poids économique, les prix varient de 280 000 à 750 000 euros. 

Le Nigeria, premier marché

Si les patrons de chaînes affirment mettre volontiers la main à la poche, nombre d’entre eux ne décolèrent pas face à l’hyperinflation des prix depuis 2004. Une hausse qui a poussé la Radio Télévision du Burkina (RTB) à refuser d’acheter les droits, avant de trouver in extremis un terrain d’entente avec Christian Enock Lagnidé lui-même. Le patron de LC2-Afnex a fait le déplacement à Ouagadougou le 12 janvier pour rencontrer les autorités burkinabè et accepté d’ouvrir le canal à la télévision nationale pour permettre aux supporteurs des Étalons de suivre la compétition en direct.

Mais Yacouba Traoré, le directeur général de la RTB, soutient que les négociations se poursuivent. « Nous voulons payer 300 millions de F CFA, soit à peu près le même montant qu’à la dernière CAN, au lieu des 878,9 millions qui nous sont réclamés », explique-t-il à Jeune Afrique. Et d’ajouter que la Champion’s League européenne et la Coupe du monde lui coûtent moins cher que la CAN. Soit respectivement 20 millions et 120 millions de F CFA. « Pourquoi le Burkina devrait-il payer autant que la Côte d’Ivoire, dont le marché publicitaire est bien plus important ? » s’interroge-t-il.

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Même perplexité au Togo et au Tchad, qui n’ont pas acquis les droits de diffusion. Selon Hassan Sylla, le directeur de la branche télévision de l’Office national des radios et télévisions du Tchad (ONRT), les sommes exigées (300 millions de F CFA dans son cas) sont tout simplement… astronomiques. Impossible pour de jeunes chaînes de télévision comme la sienne de rentabiliser de tels investissements. Les chaînes qui ont acheté ces droits ne l’auraient d’ailleurs pas pu sans le soutien de leur gouvernement. C’est le cas en RD Congo, où la Radio télévision nationale (RTNC) a accepté de payer 500 000 euros sur deux ans, avec un premier versement de 200 000 euros pendant la compétition.

Selon le patron de LC2-Afnex, seuls cinq ou six pays ont refusé de payer. Pour leurs spectateurs, reste l’option radio. Mais même pour les stations comme RFI ou Africa no 1, ces droits ont été obtenus au forceps. La toile est, quant à elle, surveillée de très près. Sur YouTube, par exemple, les vidéos de matchs postées par des internautes sont court-circuitées. 

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Maroc absent

Au Maghreb, les chaînes publiques n’ont pas échappé à cette fièvre inflationniste. Dans le nord du continent, les droits de diffusion qui appartenaient à ART, la chaîne du milliardaire saoudien Cheikh Salah, sont tombés dans l’escarcelle d’Al-Jazira, qui a racheté ce canal. À chacun des trois pays du Maghreb, la chaîne qatarie demande 10 millions de dollars pour dix matchs, sur les trente-deux de la compétition. Soit 1 million de dollars par match ! « C’est le montant que nous avons versé à ART en 2008 pour avoir les droits pour la diffusion hertzienne de tous les matchs de la CAN qui se déroulait au Ghana », s’emporte le directeur des droits sportifs de la Société nationale de radiodiffusion et de télévision (SNRT) du Maroc. Il accuse Al-Jazira de surenchère sur fond de visées monopolistiques. Résultat : le royaume chérifien, absent de cette phase finale de la CAN, a refusé de payer. Tout comme la Tunisie, dont les autorités ont préféré verser le budget dévolu à l’achat des droits de retransmission (environ 1,6 million d’euros) à des clubs nationaux. 

Rumeurs en Algérie

Seule l’Algérie a mis la main à la poche pour permettre aux supporteurs des Fennecs de suivre le parcours de leur équipe. La rumeur évoque 9 à 10 millions de dollars. Mais là aussi, la question de la rentabilité de l’investissement se pose. « L’ENTV [la chaîne nationale algérienne, NDLR] aurait pu amortir cette dépense grâce à la publicité si elle avait reçu une offre claire bien à l’avance, juge Riad Aït Aoudia, le patron de MédiAlgérie, une agence de marketing sportif. L’achat des droits de diffusion s’est fait au dernier moment et dans le flou. Il est difficile de vendre des plages publicitaires à trois semaines de la compétition. »

Au nord comme au sud du Sahara, les chaînes publiques dénoncent, outre la responsabilité de LC2-Afnex et d’Al-Jazira, celle de la CAF, détentrice originelle des droits de diffusion, qui d’une part ne communique pas le montant de la cession des droits, et d’autre part n’a pas su empêcher la hausse vertigineuse des tarifs. Mais, tempère Aït Aoudia, « cette hausse est a priori positive. Cet argent est censé aider le football africain à se développer et à se professionnaliser ». Reste une question : que fait la CAF de cette manne ?

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