Haro sur les douaniers !

Expert en douane, Le Havre, France

Publié le 23 janvier 2010 Lecture : 3 minutes.

Dans votre avant-dernier numéro vous avez consacré un long article à la « guerre des huiles » en Afrique de l’Ouest. Vous avez fait allusion au manque de contrôle des services douaniers africains, notamment au port de Lomé. De façon générale, les accords internationaux sur la valeur en douane à la fin du siècle dernier ont totalement saccagé la protection douanière des pays africains. Ce sont des normes très sophistiquées pour des économies dominées par le secteur informel. Comment contrôler la valeur en douane d’un produit en respectant l’accord international lorsque, d’une part, on n’a reçu aucune formation spécifique (400 pages à lire et à interpréter), et, d’autre part, quand les neuf dixièmes des commerçants du pays n’ont pas d’identifiant fiscal fiable et le plus souvent pas de facturiers utiles à un contrôle quelconque ? Non instruites de ces notions complexes et incapables de faire jouer des accords d’assistance internationaux, les douanes locales ont « baissé les bras ».

PRODUCTEURS AGRiCOLES LÉSÉS

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À cet égard, votre article sur la guerre des huiles est très parlant : certains veulent être les bons élèves de l’économie mondiale pour bénéficier de prêts à taux réduits afin de se lancer dans des opérations d’investissements sans commune mesure avec les moyens financiers du pays et cela au détriment des producteurs agricoles locaux. De plus, quand un pays ne « joue pas le jeu » et « nationalise » ledit produit – sur lequel plus aucun droit de douane ne sera perçu par les pays voisins, puisque désormais considéré comme produit régional – afin de le réexporter dans la zone économique dont il fait partie, il ruine ses partenaires régionaux, détruit des emplois et des filières agro-industrielles vitales au développement des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ou de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac), par exemple. Malheureusement, les douanes locales ne sont pas armées pour lutter contre ces fraudes. Dans la quasi-totalité des pays africains, un seul objectif leur est fixé : des recettes, des recettes et encore des recettes ! Certes, la douane fournit entre 40 % et 60 % des recettes des États en question. Mais cela ne peut être l’unique but.

Cette politique de collecte fiscale à tout prix, imposée le plus souvent par la Banque mondiale et par les pays prêteurs, est effectuée au détriment des intérêts à long terme des pays africains. La mission « économique » de la douane n’est pas prise en compte : la notion d’origine est elle aussi très complexe à vérifier. Elle ne peut être correctement effectuée qu’avec des contrôles a posteriori au niveau de la comptabilité des entreprises. Comme pour la valeur, le contrôle « primaire » en frontière est totalement inutile. La mission de protection de la douane est toujours négligée sous l’angle des contrôles approfondis : d’une part par le fait de l’inorganisation des douanes locales, et d’autre part par le maintien de textes répressifs rétrogrades conduisant à l’arbitraire et à un semblant de lutte contre la fraude qui sanctionne la forme de la déclaration.

L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

Enfin, il faut bien en parler : la corruption est un mal endémique dans les douanes du monde entier, mais en Afrique elle justifie toutes les autres turpitudes. Dans de nombreux pays du continent, la douane est montrée du doigt en tant que modèle de corruption. C’est souvent vrai. Mais c’est encore une fois l’arbre qui cache la forêt. Sait-on que le montant global des exonérations accordées par les ministres locaux des Finances ou par la présidence de la République – ce qu’on appelle « exonérations exceptionnelles » – et qui obligent les douanes à sortir de la réglementation est souvent supérieur aux recettes douanières ? Il suffit de comparer le coût payé par un pays à des sociétés de pré-inspections (en moyenne 1 % de la valeur des produits importés, ce qui représente une somme astronomique par rapport au budget de fonctionnement de la douane locale, salaires compris) pour comprendre que les États ne cherchent pas à rendre efficace leur administration. 

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