Khadra en terrain vague

L’Olympe des infortunes, le dernier roman de Yasmina Khadra, est une parabole de la comédie humaine.

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Publié le 22 janvier 2010 Lecture : 2 minutes.

Ce sont des « Horr ». Ils vivent « en marge de la société, des vaccins et des recensements, comme des hommes de la préhistoire ». Leur patrie ? Un terrain vague, coincé entre la mer et nulle part. Dans ce lieu improbable, impossible à situer dans l’espace et dans le temps, cette tribu de clochards se débat tant bien que mal avec la vie. Ach le Borgne, Junior, Pacha, Haroun, Aït Cetera et leurs compagnons ne possèdent rien. Et n’espèrent pas davantage, persuadés qu’il n’y a « ni miracle ni rédemption », que « s’il y avait une justice, ça se saurait » et que « l’argent est source de tous les malheurs ». Pour eux, « la vraie richesse est de ne rien attendre des autres ».

Évidemment, chacun interprète et applique ces principes selon son tempérament : teigneux ou résigné, faux cul ou affectueux, sociable ou renfermé. Parmi eux se distinguent Ach, le poète borgne, et Junior, le simplet, liés par une indéfectible amitié. « Tu es l’œil qui me manque, je suis la raison qui te fait défaut », lance le premier au second. Il veille sur son protégé, le surveille, même, comme du lait sur le feu, de peur qu’il ne succombe à la tentation et ne quitte le terrain vague pour la cité interdite : la ville, ce « colis piégé », ce « pays ennemi ». Et en effet le destin – qui prend, dans ce roman baroque, la forme d’une étrange créature – va bouleverser les certitudes d’Ach et jeter Junior sur un chemin pavé de bonnes intentions : l’enfer de la ville, où sévit la civilisation – celle de ces barbares que nous sommes, nous qui nous prétendons civilisés.

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Art consommé de la fable

On l’a compris, L’Olympe des infortunes, le dernier roman de Yasmina Khadra, est une parabole de la comédie humaine : le bien, le mal, le sens de la vie, la vanité de la gloire, des désirs et des biens matériels, cette éternelle insatisfaction qui nous fait paraître l’herbe plus verte dans le pré du voisin. Des poncifs en apparence, mais que Khadra manie avec dextérité, tirant ces ficelles grosses comme des câbles avec un art consommé de la fable. Les images et les métaphores fusent, inattendues et poignantes. Parfois, leur accumulation tourne au charivari. Qu’importe : ces gesticulations tragiques d’hommes pantins décrits avec une truculence rabelaisienne nous touchent profondément, parce que ce sont notre monde et nos travers que l’écrivain nous lance à la tête, avec bonté, sagesse, mais sans ménagement.

Après Ce que le jour doit à la nuit, superbe fresque romanesque qui retraçait l’épopée de l’indépendance algérienne à travers une histoire d’amour impossible (plus de 425 000 exemplaires vendus), Yasmina Khadra parvient à nous raconter une histoire vieille comme le monde en la faisant passer pour neuve et en se renouvelant lui-même. Cela s’appelle le talent.

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