Livres : sans exotisme ni compassion

Avec un roman ethnologique très documenté, l’écrivain français Bernard Mathieu explore l’univers complexe des Surmas d’Éthiopie.

Du fond des temps, de Bernard Mathieu, Gallimard, Série noire, 448 pages, 21 euros

Du fond des temps, de Bernard Mathieu, Gallimard, Série noire, 448 pages, 21 euros

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Publié le 25 janvier 2010 Lecture : 3 minutes.

Les Surmas vivent dans le sud-ouest de l’Éthiopie, sur les rives de la rivière Kibish, près de la frontière avec le Soudan et fort loin de la capitale, Addis-Abeba. Leurs peintures corporelles et scarifications, les labrets que les femmes insèrent dans leur lèvre inférieure, les colliers colorés qu’ils portent sont connus, sans doute parce que nombre de photographes1 ont rapporté de cette région minérale de beaux clichés, prompts à satisfaire l’insatiable besoin d’exotisme occidental… Point d’exotisme pourtant dans le nouveau livre du français Bernard Mathieu, Du fond des temps. Et l’on ne s’en plaindra pas.

Les quelque quatre cents pages de ce « roman noir » très documenté représentent une somme passionnante sur l’environnement, le quotidien et le mode de vie des Surmas. Mieux qu’une thèse d’ethnologie ? Bernard Mathieu, qui s’est inspiré des travaux de Serge Tornay2, défend la complémentarité des regards : « Il y a toujours plusieurs manières de raconter le réel. Il y a l’approche scientifique et l’approche magique, celle de la fiction. Pour autant, le romancier ne peut pas se permettre d’être désinvolte quand il traite du réel. » Sa démarche, en tout cas, n’a rien eu de désinvolte.

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Parcours initiatique

Pour bâtir son roman, Mathieu a passé environ six mois sur le terrain, au cours de séjours de cinq à six semaines, dans des conditions « très pénibles ». Le premier a eu lieu en 2004, lorsque le cinéaste Jean Queyrat l’a entraîné en Éthiopie pour participer au repérage du film Les Samouraïs noirs, sur le donga, un duel rituel au bâton qui a pour but d’unifier le clan en période difficile. Mais Mathieu ne s’est pas contenté de ce qu’il voyait : de nombreuses lectures lui ont permis d’approfondir son savoir sur les Surmas et les Nyangatoms.

Du fond des temps raconte l’installation à Kibish d’une Française originaire d’Auvergne, Hélène, et de son mari éthiopien, Hailou, hanté par les années qu’il a passées en prison sous le règne du « Négus rouge », Mengistu Haïlé Mariam. Disons-le tout net : en dépit des nombreux cadavres qui jonchent le cours du récit, ce n’est pas un roman policier avec intrigue, rebondissements et révélations fracassantes. Non, il s’agit plutôt du parcours initiatique d’une femme qui se découvre à travers le regard d’hommes et d’autres femmes qui, tout en ayant une histoire et des traditions très différentes des siennes, peuvent aussi se révéler très proches.

De l’autre côté de la barrière

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« Je voulais raconter l’histoire à travers un regard européen qui ne soit ni exotique ni compassionnel. Hélène n’a rien à voir avec les touristes qu’elle croise : le fait qu’elle soit l’épouse d’un Éthiopien la place de l’autre côté de la barrière », explique Mathieu. Et pour elle, les choses sont d’autant plus complexes que son mari dépressif, qui vient d’Addis, a lui-même du mal à comprendre les Surmas et les Nyangatoms…

Dans l’ombre du mont Chologoé, le long de la Kibish et jusque dans la plaine de Nankua, l’errance d’Hélène la conduit vers une impasse où une seule solution s’offre à elle : embrasser la mort pour renaître, différente. Bernard Mathieu, qui a arpenté les mêmes chemins, résume ainsi son voyage : « Nous sommes allés à la rencontre de nous-mêmes. » 

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1. Angela Fischer et Carol Beckwith, Hans Silvester…

2. Les Fusils jaunes. Génération et politique en pays nyangatom (Ethiopie), de Serge Tornay, Société d’ethnologie, université de Paris-X Nanterre.

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