Fatima Zahra Mansouri, première dame de Marrakech

Femme, jeune, moderne, mère de deux enfants, éduquée à l’école française mais pétrie de culture marocaine, la maire de la Ville ocre incarne la nouvelle génération de politiques que son parti, le PAM, veut faire émerger. Portrait.

Fatima Mansouri incarne la nouvelle génération de politiques que le PAM veut faire émerger © AFP

Fatima Mansouri incarne la nouvelle génération de politiques que le PAM veut faire émerger © AFP

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Publié le 25 janvier 2010 Lecture : 6 minutes.

Il est 8 heures du matin. Alors que Marrakech s’éveille à peine, une jeune femme pénètre d’un pas alerte dans le hall de la mairie et salue, le sourire aux lèvres, les quelques personnes déjà présentes. Elle a tout l’air d’une citoyenne ordinaire. Et pourtant, c’est la maire de Marrakech, qui plus est un symbole politique unique au Maroc : quasi inconnue du grand public, Fatima Zahra Mansouri a réussi l’exploit de devenir, à 33 ans, la seule femme présidente de commune du royaume à l’issue des élections de juin dernier.

Fatima Zahra Mansouri est « une maire cool ». C’est en tout cas ce que répètent les membres de son équipe, à qui elle s’adresse avec simplicité et jovialité. Grande, décontractée, pantalon sombre et talons plats, cette avocate en impose à son entourage par son dynamisme et sa rigueur. « Elle est là tous les jours à 8 heures et va sur le terrain à 9 heures. Elle ne délègue pas et met elle-même les mains dans le cambouis », confie un membre de son cabinet. Ce matin-là, elle se rend au Royal Tennis Club, où l’on doit lui soumettre un projet d’infrastructure. Pendant la réunion, seule femme parmi les hommes, elle écoute, pose des questions précises et ne s’en laisse pas conter. C’est sûr, Fatima Zahra Mansouri n’a rien d’une marionnette ou d’un faire-valoir. Elle l’a d’ailleurs déjà prouvé à ceux qui en douteraient. Élue le 22 juin sous la bannière du Parti Authenticité et Modernité (PAM), elle apprend, le 13 juillet, que le tribunal administratif a purement et simplement annulé son élection en raison d’irrégularités. La presse a alors prétendu que la maire, effondrée, s’était évanouie ! C’est mal la connaître. « Ayant une certaine connaissance du droit, j’ai été surprise d’apprendre qu’un jugement avait été prononcé sans que rien ne me soit notifié, me privant du coup du droit élémentaire à la défense. C’est comme si on vous annonçait dans la rue que vous avez été condamné à mort pour avoir tué votre voisin ! » dit-elle avec humour. 

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« Gouverner par l’exemple »

S’il n’avait tenu qu’à elle, elle serait redescendue aussitôt dans l’arène. « J’étais sûre de moi et de mes électeurs », assure-t-elle. Mais, en bonne militante, respectueuse de la discipline de son parti, elle se plie à la décision commune de faire appel. Une bonne intuition : le jugement a été annulé et elle a retrouvé son poste. Aujourd’hui, l’affaire va faire l’objet d’un pourvoi en cassation, mais la maire ne se fait aucun souci : « Je sais que le droit est de mon côté. » Elle a en tout cas déjà remporté une bataille puisque le wali, Mounir Chraïbi, a été limogé à la suite de cet incident. Elle ne s’était pas privée à l’époque de critiquer ouvertement l’autorité administrative. « Je me sentais sous pression. J’ai refusé qu’on m’impose des orientations qui ne me paraissaient pas cohérentes. Je ne suis pas là pour être simplement un symbole. » Pourtant, c’est précisément la raison pour laquelle le PAM l’a choisie. Femme, jeune, moderne, mère de deux enfants, éduquée à l’école française, mais pétrie de culture marocaine, elle incarne parfaitement la nouvelle génération de politiques que le parti veut faire émerger. Militante convaincue, Mansouri voit dans la formation de Fouad Ali El Himma « un parti différent et moderne, ni de droite ni de gauche, qui privilégie une gestion locale par objectifs ».

C’est certain, le PAM a trouvé en elle une recrue en or, capable de combiner les deux objectifs affichés du nouveau parti, tradition et modernité. « Je veux gouverner par l’exemple », explique-t-elle. Pour prouver qu’elle n’est intéressée ni par le pouvoir ni par l’argent, elle a renoncé à percevoir son indemnité de 5 500 dirhams (480 euros), qu’elle reverse entièrement aux fonctionnaires de sa mairie. « Je pense que c’est un bon message. Quand on est au service de ses concitoyens, c’est à titre gratuit et par dévouement pour son pays. » C’est ce discours inhabituel qui a séduit les Marrakchis. Pendant sa campagne, Mansouri n’a pas fait de grands meetings, privilégiant les réunions en petit comité. Adepte d’une approche participative, elle a mis en place, dès le début de son mandat, une permanence hebdo­madaire où elle reçoit ses administrés. « Avec mon parti, nous avons la certitude qu’il ne sert à rien d’arriver avec un programme préétabli, taillé dans l’idéologie. Il faut s’adapter aux besoins des citoyens. »

« Un autre tourisme est possible »

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Dans les rues de la ville, l’élection de la maire est un sujet de fierté. « Elle n’est là que depuis six mois, mais je lui fais confiance. Les femmes sont sérieuses et incorruptibles », s’enthousiasme Mouna, une étudiante. « Elle va apporter de nouvelles pratiques dans une ville où la gestion a trop longtemps été très opaque », se félicite Othman, employé dans un hôtel de luxe. Il n’a pas oublié les promesses de campagne de la candidate, en premier lieu la transparence et le respect de l’État de droit. « S’il y a une chose que je dois à mon pays, c’est bien celle-là », se targue Mansouri. Mais il n’est pas facile de balayer d’un revers de la main des années de mauvaise gouvernance. « En arrivant, nous avons été très étonnés de découvrir que les caisses étaient vides, déplore-t-elle. Nous étions en déficit pour l’année 2010, et j’ai dû faire intervenir la tutelle. L’endettement de Marrakech est colossal, et les recettes perçues ces dernières années sont anormalement faibles. » Une situation à laquelle elle ne s’attendait pas, mais qu’elle s’efforce de gérer au mieux. En six mois, les recettes de la ville ont d’ailleurs augmenté de près d’un tiers. Autre incongruité de l’ère précédente : la gestion de l’urbanisme. « Pendant dix ans, le développement de Marrakech s’est fait sans le moindre plan d’aménagement ! s’insurge-t-elle. De toutes les dérogations octroyées dans le royaume, 45 % l’ont été à Marrakech. Si on continue sur cette voie, on ne maîtrisera plus la circulation, on aura des problèmes de sécurité, et cela se retournera contre le cachet de cette ville. »

Les Marrakchis peuvent souffler : leur maire est bien décidée à mettre un frein à une politique touristique fondée pendant trop longtemps sur le seul développement des infrastructures hôtelières et de loisirs. Au risque de frôler parfois la catastrophe écologique. « Il y a une projection de vingt-deux parcours de golf. C’est insensé ! Prévoir d’autres golfs serait une insulte à l’écologie et à la distribution déjà préoccupante de l’eau. Un autre tourisme est possible », plaide-t-elle. Persuadée que les visiteurs sont d’abord attirés par le charme ancestral de Marrakech, elle est décidée à rendre ses lettres de noblesse au patrimoine culturel de la ville, trop longtemps délaissé. « Les remparts sont en train de s’écrouler, le théâtre royal ne sert plus depuis des années, les musées sont mal gérés et nos monuments mal entretenus », regrette-t-elle. 

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Tel père, telle fille

En écoutant Fatima Zahra Mansouri parler, on découvre une autre facette de Marrakech. Loin de la ville de paillettes, havre de paix pour la jet-set, on apprend que la Ville ocre est aussi une commune pauvre, où 20 000 foyers n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité. « En cinq ans, Marrakech a connu un boom économique exceptionnel, mais qui n’a malheureusement pas profité à tout le monde », regrette-t-elle. Pour l’instant, sa priorité est d’éradiquer les bidonvilles – potentiels « fiefs des obscurantistes » – de la périphérie.

Issue d’une longue lignée de Marrakchis, Mansouri connaît sa ville dans ses moindres recoins. Son père, qui a été pacha de Marrakech, a occupé pendant huit ans son bureau actuel. Comme un mauvais tour du destin, il est décédé le soir même de l’élection de sa fille, mais il reste pour elle un modèle obligé. Comme lui, elle a embrassé une carrière d’avocate. « J’ai toujours su que je voulais faire ce métier. J’ai gardé une photo de moi à 7 ans, en toge, en train de plaider. Voir mon père répéter ses plaidoiries m’a sans doute influencée. C’est comme si une sorte de naïveté positive me pousse depuis toujours à vouloir défendre la veuve et l’orphelin. » Si elle vit des revenus de son cabinet d’avocat, elle n’exerce plus : « Avant, je ne défendais qu’un client à la fois, maintenant que je suis maire, j’en défends un million. »

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