Quand opposition veut rimer avec union
Pour la première fois, les principaux adversaires du chef de l’État essaient sérieusement de s’entendre pour constituer une véritable alternance. Côté présidence, on observe…
Tirant les leçons de leur défaite à la dernière présidentielle, des candidats malheureux ont annoncé la création d’un « grand parti » de l’opposition avant fin janvier. La nouvelle formation sera animée notamment par ceux qui étaient, il y a quelques mois encore, des piliers du régime Bongo Ondimba.
Née à la mi-novembre, l’idée a d’abord fait sourire ceux qui savent que, au Gabon, l’unité de l’opposition n’a jamais été évoquée qu’au conditionnel. Pourtant, huit personnalités, dont les anciens ministres Zacharie Myboto, André Mba Obame et Casimir Oyé Mba, le dernier Premier ministre d’Omar Bongo Ondimba, Jean Eyeghé Ndong, et le jeune activiste Bruno Ben Moubamba, ont décidé de fusionner leurs forces dans un seul parti unifié, et ont adhéré à une « Charte de la coalition des groupes et partis politiques pour l’alternance ». Une démarche inédite au pays d’Omar Bongo Ondimba. En son temps, le « Vieux » aurait déjà fait voler l’alliance en éclats par un de ses coups dont il avait le secret. Mais les temps ont changé.
« Ce grand parti n’est pas une alliance de circonstance », précise une déclaration de la coalition des anciens candidats. Le projet vise à mettre en place une « force équivalente au Parti démocratique gabonais [PDG] en termes de quadrillage du territoire », explique Moubamba. « On aboutirait ainsi à une bipolarisation du paysage politique gabonais, ajoute-t-il. Cela ouvrira de réelles possibilités d’alternance à la tête de l’État. »
Le cas Mamboundou
En attendant, des « experts » planchent sur les statuts et la forme que prendra cette coalition. Leur copie est attendue sur la table de la « conférence des présidents » qui se chargeront de trancher les points délicats : faut-il que la présidence soit fixe ou tournante ? Qui du président ou du secrétaire exécutif aura la réalité du pouvoir ? Idem pour la forme à donner au parti. Fusionner les différents partis, comme l’ont imaginé les initiateurs du projet, pourrait bien rebuter de potentiels partenaires. Notamment Pierre Mamboundou, deuxième à la présidentielle avec 22,64 % des voix, dont le parti, l’Union du peuple gabonais (UPG) compte huit députés, deux sénateurs et de nombreux élus.
Son cas d’ailleurs exaspère dans les rangs de la coalition, où l’on critique ses absences. Certains prétendent qu’il refuse de frayer avec ses anciens adversaires, dissidents « pédégistes ». D’autres l’accusent de n’envisager d’union qu’autour de sa personne. Ou s’interrogent sur son ancrage dans l’opposition. Un de ses proches, Jean Félix Mouloungui, a rejoint le premier gouvernement d’Ali Bongo Ondimba, et pourrait accepter un poste de vice-président de la République, s’il était créé. « Quoi qu’il en soit, son choix n’empêchera pas certains de ses militants de nous rejoindre », prédit un membre de la coalition.
Le tribun Paul Mba Abessole du Rassemblement pour le Gabon (RPG) fait quant à lui clairement bande à part. Le prêtre défroqué ne ménage pas ses anciens collègues. Mba Obame ? « C’est le premier à m’avoir trahi en politique. » Quant à Eyeghé Ndong, il ne serait pas digne de confiance pour avoir « braconné » sur les terres de l’ancien ecclésiastique lors d’un scrutin.
« Les coups échangés par le passé sont oubliés »
Reste Séraphin Ndaot du Parti gabonais du progrès (PGP), en discussion avec la coalition. L’ancien maire de Port-Gentil pourrait bien sauter le pas, comme l’ancien président de l’Assemblée nationale, Jules Aristide Bourdes Ogouliguende, président du Congrès pour la démocratie et la Justice (CDJ), que l’on dit séduit par l’idée. Le groupe mise également sur des défections au sein du PDG pour grossir ses rangs. Quelques déçus de n’avoir pas été récompensés du soutien qu’ils ont apporté à Ali Bongo Ondimba pendant la transition.
Face à cette diversité, Bruno Ben Moubamba propose de constituer une fédération à laquelle partis, syndicats et clubs pourraient adhérer afin de « préserver les identités de chacun ». Pour l’heure, les négociations continuent. Avec une question : les promoteurs du « grand parti » vont-ils pouvoir taire les vieilles rancunes héritées de toutes ces années de combat politique ? « Ils se sont parlé les yeux dans les yeux et se sont pardonné les uns aux autres. Les coups échangés par le passé sont oubliés », affirme Mike Jocktane, principal lieutenant d’André Mba Obame. Rien n’est moins sûr.
« Combien de temps cet attelage tiendra-t-il ? » grince, sarcastique, Faustin Boukoubi, secrétaire général du PDG. « Tous ont claqué la porte du PDG parce qu’aucun d’eux n’acceptait de taire ses ambitions devant le candidat choisi par le parti. Comment imaginer qu’ils puissent s’entendre durablement ? » poursuit-il.
Géopolitique ethnique
C’est sûr, aucune de ces fortes têtes n’acceptera de jouer les seconds rôles. Cependant, lors des rencontres qui se tiennent au siège de l’Union gabonaise pour la démocratie et le développement (UGDD), jouxtant la résidence librevilloise de Zacharie Myboto, deux groupes dominent les débats. D’abord les proches de Myboto, qui avait déjà été choisi par les autres candidats de la coalition pour les représenter pendant la contestation de l’élection d’Ali Bongo Ondimba. Beaucoup voient la figure de proue de l’ethnie nzebie – la troisième du pays – prendre la tête du nouveau parti. Doyen du groupe, cet ancien dignitaire du régime s’est brouillé avec Omar Bongo Ondimba en 2005 avant de démissionner avec fracas et de créer son parti.
L’autre est le clan d’André Mba Obame. L’ancien candidat indépendant, un Fang, est pressenti au poste de secrétaire exécutif. S’il n’a pas fondé de parti politique, il s’impose grâce à sa popularité attestée par un score de 22,33 % à l’issue du dernier scrutin présidentiel.
Avec un Nzebi et un Fang à la tête de l’exécutif du parti, la répartition des postes devrait donc tenir compte de la « géopolitique » ethnique en vigueur au Gabon. Reste que les opposants ont intérêt à accélérer le processus, car le temps presse : des élections législatives partielles sont attendues au cours de ce premier semestre. Le PDG remettra en jeu les quatre sièges de député et un siège de sénateur initialement occupés par ses hiérarques démissionnaires.
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