Haïti : Nègres debout !

Écrivain franco-congolais, Prix Renaudot 2006

 © Vincent Fournier pour Jeune Afrique

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ProfilAuteur_AlainMabanckou
  • Alain Mabanckou

    Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.

Publié le 21 janvier 2010 Lecture : 2 minutes.

Haïti, année zéro
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Haïti, année zéro

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On se demandera longtemps : pourquoi Haïti ? Et on se rappellera le titre d’un des romans de l’Haïtien Louis-Philippe Dalembert : Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme. Oui, car si tout cela n’était qu’un caprice de Dieu, Celui-ci l’aurait gommé d’un seul trait. Mais voilà, ces demeures démantibulées, cette poussière suffocante, ces corps qui traînent le long des artères nous montrent qu’il y a bien eu le courroux de la nature, un courroux que le peuple haïtien n’avait plus connu depuis plus de deux siècles [le dernier séisme d’une aussi forte intensité remonte à 1770, NDLR]. Ailleurs on parlera de la malédiction d’une nation, du destin en dents de scie d’un peuple. Pour autant, il nous faut rappeler que c’est ce même pays qui fut la garde prétorienne du monde noir, la voix des sans-voix. C’est ce même pays qui repoussait sans cesse l’occupant. C’est ce même pays qui mit fin au règne sanglant des Duvalier et de leurs légendaires Tontons Macoutes. Le seul bien que personne ne pourrait spolier aux Haïtiens – et ils le défendraient jusqu’aux portes de l’Enfer –, c’est la culture.

On aurait pu penser que dans une nation frappée de misère, exténuée par la parade des dictateurs, il y aurait une « sécheresse culturelle », un fossé dans la compréhension du monde. Ce n’est pas le cas. Haïti dicte une ligne de création autonome, parfois à contre-courant, mais toujours en avance sur le reste du monde noir. Ce pays ne s’est pas laissé séduire par les débats idéologiques et identitaires de la créolité en vogue dans certaines contrées des Antilles françaises. Ce pays a cherché et continue à chercher ses liens avec l’Afrique. Nul ne comprendra le continent noir sans mettre les pieds sur ce territoire célébré aussi bien par Césaire que par Senghor.

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André Malraux l’avait compris, il est mort avec à son chevet l’ouvrage d’un Haïtien : Au pipirite chantant, recueil de poèmes de Jean Métellus.

Alain Bosquet l’avait compris, il a préfacé en 1964 la réédition d’Idem, le recueil de poèmes de Davertige, un autre Haïtien.

Dans son roman L’Énigme du retour (Grasset, 2009), vers les derniers chapitres, Laferrière raconte la résurrection de ma mère en Haïti. J’étais le premier surpris. Lui trouvait cela naturel. Je sais maintenant que les Africains ressuscitent tous en Haïti. Parce que, même lorsque nous aurons tout perdu – notre corps et notre âme – il y aura toujours en Haïti les vestiges de notre « africanité ». Et c’est en cela que le séisme qui s’est abattu dans ce pays-là a frappé en fait l’Afrique en plein cœur. Je le sais, car ce matin en me regardant dans la glace je me suis rendu compte que j’étais plus que jamais un Haïtien. Je suis sorti dans la rue, j’ai croisé la première personne et je lui ai dit : Haïti, un pays debout ! Il m’a certainement pris pour un fou…

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