Cinéma : Nollywood en crise

Mal distribués, abondamment piratés, les films réalisés au Nigeria ne permettent pas de développer l’industrie cinématographique. Solutions envisagées ? Abandonner l’amateurisme et privilégier la qualité.

Les films nigérians sont directement vendus au format vidéo pour une poignée de naïras © Guy Calaf/Cosmos

Les films nigérians sont directement vendus au format vidéo pour une poignée de naïras © Guy Calaf/Cosmos

Publié le 19 janvier 2010 Lecture : 5 minutes.

Gangstas aux lunettes noires armés de kalachnikovs, vamps au regard langoureux, zombies et créatures assoiffées de sang… les affiches kitsch et colorées qui couvrent les murs des petites échoppes du marché couvert d’Idumota, à Lagos Island, donnent le ton. Bienvenue dans l’antre de Nolly­wood, cette cinématographie un peu folle, presque surgie de nulle part, qui ébahit la planète cinéma depuis plus de dix ans. Le « videomarket » d’Idumota est un des seuls lieux de la ville « sous contrôle », où les VCD (DVD à faible coût) échappent à la piraterie qui ravage le marché. George, qui nous accueille, est l’attaché de presse de la Video Marketers and Producers Association, un des rares organismes qui tentent de réguler cette industrie tentaculaire. Malgré ses airs de petit chef tenant la place, notre guide ne se fait guère d’illusion : à quelques mètres de ce centre névralgique de la distribution nollywoodienne (essentiellement basée sur la home video), les VCD à 600 naïras (3 euros) d’Idumota sont vendus 300 naïras dans de petits vidéoclubs tout aussi bien approvisionnés… Inutile de préciser que, dans ce cadre informel et sauvage, le retour sur investissement des cinéastes et producteurs est absolument nul.

Le problème de la distribution est le point noir de l’industrie du cinéma nigérian. À Port Harcourt, où se tenait le mois dernier le premier festival international de cinéma de l’histoire du pays (ION Film Festival, du 9 au 12 décembre 2009), panels et tables rondes ont tourné autour d’une seule et même question : comment faire enfin bénéficier l’industrie du cinéma des centaines de millions de dollars (600 millions annoncés pour 2010) qu’elle génère chaque année ? Force est de constater que la création de bureaux officiels (Film and Video Censors Board, Nigerian Film Corporation [NFC]…), destinés à structurer l’industrie, n’ont pas eu les effets escomptés. Les rocambolesques appels de la NFC à une « prise de conscience des cinéastes » (contre « la violence et l’obscénité » de la majorité des films) ne devraient pas changer grand-chose à la qualité d’œuvres le plus souvent réalisées en deux jours, pour quelques milliers de dollars et selon une logique strictement mercantile – le moindre film étant décliné en une multitude de suites réalisées dans la foulée. 

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Baisse drastique des ventes

Si en mai dernier, une enquête de l’Unesco propulsait le Nigeria au deuxième rang mondial des pays producteurs de films (avec 872 réalisations en 2006) derrière l’Inde et son Bolly­wood, le temps n’est plus vraiment à la fanfaronnade. Avec 20 tournages par mois en moyenne (contre 80 il y a quelques années) et une baisse drastique des ventes de VCD (10 000 copies pour un film, contre plusieurs centaines de milliers auparavant), Nollywood vit sa première crise d’envergure depuis sa naissance, au début des années 1990. Doit-on, pour autant, évoquer la fin d’un âge d’or ? Pas sûr. La présence des video centers, où un film se loue pour 100 naïras, jusque sur les bords de la lagune du quartier populeux d’Apapa et dans les ruelles des bidonvilles, semble annoncer de beaux jours pour l’usine à rêves nigériane.

Le temps des débats opposant d’une part les réalisateurs misant sur une certaine qualité artistique, mais « assistés » (notamment par la France), et d’autre part les golden boys de la home video nigériane semble révolu. Les acteurs clés de Nollywood sont désormais hypnotisés par les mots magiques – et jusqu’ici royalement ignorés – de « qualité artistique ». À Port Harcourt, le contenu était au centre de toutes les discussions… Le signe, à l’évidence, que quelque chose a changé dans un monde où business et bling-bling ont toujours régné sans partage.

Le niveau technique des films stagne

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Ce retour de flamme inattendu n’est pas sans effets pervers. Le cinéaste et producteur Mahmood Balogun, un ancien ayant connu toutes les étapes de l’irrésistible ascension de Nollywood, vient de réaliser un film en argentique – c’est-à-dire en restant fidèle à la traditionnelle pellicule – et a eu recours pour ce faire à une armée de techniciens recrutés aux États-Unis. « Il nous faut réaliser des films répondant à des standards internationaux, il est temps de passer un cap », claironne-t-il avec un brin d’arrogance dans la voix. « Mais nous n’avons pas de techniciens capables de travailler dans l’argentique, j’ai donc dû me tourner vers l’étranger. » Un paradoxe quand on songe que, au temps de ses plus beaux espoirs, la production nigériane était censée former des techniciens et des réalisateurs rompus aux techniques du numérique. Mais dix ans après son boom et malgré quelques figures remarquées tels Tunde Kelani ou Jeta Amata, le niveau technique des films stagne et l’on cherche en vain un cinéaste capable de présenter une œuvre de niveau « international », présentable dans un festival étranger.

Les mentalités changent néanmoins au cœur même de l’industrie. Un cinéaste comme Newton Aduaka, qui a remporté l’étalon de Yennenga au Fespaco en 2007, vit entre Londres et Paris, et réalise ses films selon une logique bien différente des standards nollywoodiens. Quant à Kunle Afolayan, c’est un des rares réalisateurs restés au pays à pouvoir se targuer de franchir les frontières. Son second long-métrage, The Figurine, vient d’être présenté en avant-première au Festival du film de Londres et sera sélectionné par le prestigieux Festival du film de Rotterdam. Réalisé en HD pour un budget astronomique à l’échelle locale (10 millions de naïras, soit 46 000 euros), ce thriller fantastique stylé témoigne d’une volonté évidente de sortir du ghetto de l’amateurisme. « J’ai d’abord été banquier, puis acteur à succès dans différents films de Nollywood. Enfin, j’ai eu envie de passer à la réalisation à cause de la nullité des films dans lesquels je tournais », assène avec une calme assurance le jeune cinéaste. Tourné vers l’étranger, Kunle Afolayan résume parfaitement l’état d’esprit d’une nouvelle vague de cinéastes bien décidés à se lancer dans le cinéma d’auteur. « Idéalement, j’aimerais réaliser en argentique, car le numérique de qualité exige des budgets qui nous sont inaccessibles, explique-t-il. Nous avons ici le matériel, mais pas l’expertise. C’est pour cela que j’ai mixé mon film en Angleterre, ça revient finalement beaucoup moins cher. » 

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Enlevé par des gangsters

Ce désir d’ouverture, assez éloigné de l’idéal d’autosuffisance sur lequel a longtemps reposé la production nigériane, est sûrement l’une des clés qui permettra à l’industrie d’atteindre un plus large public. Même si l’essence de Nollywood réside aussi et surtout dans sa manière de coller au quotidien des spectateurs (langues locales, empire des rites et de la tradition, proximité). Dans la mosaïque anonyme et bigarrée des affiches et des jaquettes qui décorent l’entrée des nombreux vidéoclubs d’Apapa, le chauffeur de taxi pointe le visage d’un acteur : « C’est Nkem Owoh, le plus riche des acteurs de Nollywood, il a été enlevé par les gangsters de Port Harcourt le mois dernier, au retour d’une ville de l’Est, et relâché contre plusieurs millions de naïras. »

Pour peu qu’il circule et se perpétue ainsi dans l’imaginaire de toutes les couches de la population nigériane, où il semble si profondément ancré, le vaste monde de Nollywood devrait continuer de briller encore longtemps. Par-delà crises et périodes de doute.

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