Sarkozy se fâche (et se lâche)
Trois jours après la fin du sommet de Copenhague, le président français livrait devant témoins le fond de sa pensée. À l’entendre, aucun doute : la planète a besoin de lui !
Il est comme cela des dîners au cours desquels Nicolas Sarkozy largue les amarres. Recevant à l’Élysée, le 22 décembre au soir, une dizaine de dirigeants d’ONG spécialisées dans l’environnement, entouré de deux ministres (Jean-Louis Borloo et Bernard Kouchner) et d’une poignée de conseillers (Henri Guaino, Jean-David Levitte, Boris Ravignon, etc.), le président français, manifestement très agacé par les résultats pour le moins mitigés du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique, s’est livré à l’une de ces explications de gravure calculées dont il a le secret. En témoignent les extraits de ce verbatim rédigé en commun par trois des invités – et dont J.A. s’est procuré une copie. Ils tendent à démontrer que, entre les coquilles Saint-Jacques aux truffes et le café liégeois, le chef de l’État n’a pas dû apprécier grand-chose du menu de ce soir-là.
SUR L’HÔTE DU SOMMET
Pour les prochaines rencontres, estime le président, « on ne peut pas accepter qu’un petit pays [comme le Danemark, NDLR] organise un truc comme ça. Vous croyez que c’est agréable de voir que rien n’est organisé et qu’il n’y a même pas de traduction ? Vous pensez que c’est acceptable quand, au palais de la reine, on arrive à 20 heures pour bosser, et qu’à 22 heures on est toujours à table et qu’on se regarde, ahuris, entre chefs d’État ? »
SUR L’ONU
« C’est un échec total du système onusien. Ban Ki-moon n’a existé ni avant, ni pendant, ni après Copenhague. Entre septembre et décembre, on a eu zéro papier de l’ONU », se plaint Nicolas Sarkozy, qui ajoute : « On a besoin de l’ONU. L’ONU doit continuer son travail. Simplement, ça ne marche pas sans qu’un groupe de pays leaders la fasse bouger. C’est la faillite d’un système quand le secrétaire général ne dit même pas un mot ! Ce n’est pas l’ONU que je conteste, c’est son fonctionnement. Le consensus, c’est le contraire de la démocratie. La démocratie, c’est une majorité qui se dégage contre une minorité. Le consensus, c’est quand un petit pays, le plus extrémiste, peut tout. »
SUR L’ACCORD DE COPENHAGUE
« Si on refusait l’accord, on donnait une fameuse victoire à la Chine, aux États-Unis, etc. Le splendide isolement esthétique, ça ne sert à rien. En contrepartie de l’absence de contraintes, on nous a donné les financements innovants. Je ne dis pas qu’on a bien fait pour autant. La Russie, le Brésil, l’Algérie, l’Éthiopie, la Norvège, le Bangladesh, la Colombie, le Lesotho, les Maldives ont été très bien. La Chine, elle, a été extrêmement brutale, n’hésitant pas parfois à ne même pas envoyer son négociateur en séance. Les Chinois avaient dit qu’ils bougeraient, mais ils ne l’ont pas fait. Il paraît qu’ils auraient été près de le faire si Obama le leur avait demandé fortement. L’Inde aussi a été très dure, pour d’autres raisons : avec 1,2 tonne de CO2 par habitant, elle considère qu’elle n’a rien de plus à lâcher que ce qu’elle a déjà annoncé […]. Pour moi, l’objectif est donc de détruire le G 77 [le groupe des pays en développement, incluant la Chine et l’Inde, au sein de l’ONU, NDLR], vu que, à l’intérieur, de nombreux pays ont des intérêts complètement divergents et que certains se servent des pays les moins avancés pour défendre leurs propres intérêts, y compris pétroliers. »
SUR L’AFRIQUE
« Les Africains n’ont pas osé s’affranchir de la Chine. Car la vérité est que ce pays est très présent en Afrique. Alors que nous faisons beaucoup d’efforts pour désendetter l’Afrique, la Chine est en train de la “réendetter” à la vitesse grand V, sans les mêmes conditions que nous. » Et d’énumérer les caractéristiques de cette « Chinafrique » : « Accès aux ressources, pétrole, espace, installation de dizaines de milliers de ressortissants. » En ce qui concerne la lutte contre la déforestation, le président français prévoit une réunion ministérielle à Paris, fin janvier, des quatre grands bassins forestiers du monde (Congo, Amazonie, Asie du Sud-Est, Sibérie), puis, « avant la fin 2010 », un sommet des chefs d’État sur ce thème. Entre-temps, Nicolas Sarkozy souhaite se faire inviter en tant que « special guest » au sommet bisannuel des chefs d’État de l’Union africaine, qui se tiendra du 31 janvier au 2 février à Addis-Abeba, afin d’y tenir un discours sur le thème : « Pays africains, réveillez-vous ! » Enfin, l’environnement sera au premier plan du prochain sommet Afrique-France, au mois de mai, à Paris. Objectif : « Renforcer l’alliance avec l’Éthiopie et d’autres pays amis pour la mobilisation des fonds. »
SUR BARACK OBAMA
« Si Obama est venu à Copenhague, c’est parce qu’on s’était bagarré. Je n’ai pas franchement apprécié qu’il arrive à 10 heures du matin, alors que nous discutions depuis la veille. J’ai eu deux conférences téléphoniques avec lui. Il disait : “Je ne peux pas venir, je ne viens pas.” Je lui ai dit : “Si tu ne viens pas, c’est une faute historique.” Le problème, c’est qu’il est l’Américain le plus compréhensif. On ne peut pas taper sur l’Américain le plus compréhensif, ça ne sert à rien. Au contraire, il faut l’aider à renforcer sa position. Il faut faire semblant de croire que le président Obama est d’accord. » Mais, regrette Nicolas Sarkozy, « face à l’attitude de la Chine, les États-Unis ont reculé. Ils n’ont pas fait un millimètre de plus ».
SUR L’UNION EUROPÉENNE
« Je ne suis pas le président de l’UE. Le Premier ministre suédois n’a pas le quart de ma conviction. Cela ira mieux avec le prochain président de l’Union [l’Espagnol José Luis Zapatero, en poste depuis le 1er janvier 2010, NDLR]. La présidence suédoise est libéralo-maniaque et considère que les financements innovants sont inutiles. Elle ne jure que par le marché. » À Copenhague, pourtant, estime le président français, « l’UE est restée unie, mais uniquement à travers ses trois leaders ; dans l’ordre des plus actifs : Sarkozy, Brown et Merkel ».
PROCHAINE ÉTAPE : MEXICO
Comment dépasser l’accord de Copenhague ? « En créant de nouveaux rapports de force », insiste Nicolas Sarkozy, pour qui « l’intention de la France est de reprendre l’initiative. Je crois beaucoup qu’il faut maintenir la pression pour contourner chaque point l’un après l’autre ». Dans cette optique, l’Élysée compte organiser une réunion de chefs d’État, à Paris, en mars ou en avril prochain, afin de « faire le bilan de combien de milliards de tonnes de carbone il manque » et d’être dans les fourchettes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Histoire, peut-être, de terminer sur une note d’optimisme, Sarkozy affirme fonder des espoirs raisonnables sur la prochaine conférence consacrée au climat, qui se tiendra à Mexico, du 29 novembre au 10 décembre prochains. « Calderón, c’est bien mieux que Rasmussen », dit-il, en comparant le président mexicain au Premier ministre danois. « Le Mexique est un des cinq émergents, un grand pays avec 100 millions d’habitants. Nous avons donné un mandat général à Felipe Calderón dans les décisions, il est libre d’organiser sa conférence comme il le veut. C’est un type bien, intelligent, qui ne peut pas être réélu à cause de la Constitution, c’est l’inventeur d’un système de financement universel. Pour lui, c’est une occasion exceptionnelle de se refaire. »
Commentaire liminaire des rédacteurs du verbatim : « Le président Sarkozy a été très cordial. C’est la première fois qu’il se montre sympa à ce point. » N’a-t-il pas dit aux représentants des ONG, en les accueillant, ce soir-là : « Je me serais détesté de ne pas vous voir » ?
Prudents, néanmoins, nos preneurs de notes ajoutent : « Ça cache quelque chose. Il doit avoir besoin de nous pour faire sa com’. » Non, vraiment ?
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