Philippe Seguin, le rebelle de la République
En France, son caractère colérique et ses prises de position parfois contraires à celles de sa famille politique ne lui avaient pas valu que des amitiés. Mais il forçait le respect par son indépendance d’homme d’Etat. Né à Tunis, Philippe Séguin est décédé dans la nuit du 6 au 7 janvier dernier, à Paris.
Les sourcils broussailleux, la voix rauque, les cernes généreux et l’éternelle cigarette vissée aux lèvres de Philippe Séguin ont disparu du paysage politique français. Emporté dans la nuit du 6 au 7 janvier, à 66 ans, par une crise cardiaque, l’homme qui, contre les choix de son propre camp, avait dit « oui » à l’abolition de la peine de mort et « non » au traité européen de Maastricht, appartenait à une espèce en voie d’extinction. Celle des « serviteurs de la République », selon l’hommage unanime de ceux avec qui il avait travaillé ou croisé le fer. « Philippe Séguin aura consacré sa vie au service de la France et à l’intérêt général. Avec lui, les mots de République, de Nation et d’État prenaient tout leur sens », a déclaré l’ancien président Jacques Chirac, tandis que le Premier ministre, François Fillon, visiblement bouleversé, saluait la mémoire d’un homme « fier et inclassable ».
Tour à tour bougon, colérique et charmeur, ennemi des « mesquines querelles d’appareil », celui qui fut maire, député, ministre, président de l’Assemblée nationale puis de la Cour des comptes, n’a sans doute pas eu la carrière qu’il espérait secrètement. L’Élysée, Matignon ou la mairie de Paris : ses grands rendez-vous avec l’Histoire ont été manqués, et il aura payé au prix fort son aversion pour les compromissions, une qualité devenue rare en politique.
« Je pense, donc je dis »
Gaulliste obsessionnel, partisan d’une authentique présidentialisation du régime, Philippe Séguin était considéré comme un « souverainiste ». Juché sur son perchoir de président de l’Assemblée nationale de 1993 à 1997, ses coups de gueule et son air navré de recteur de la vie parlementaire ont régulièrement fait la une des journaux. Quatrième personnage de l’État, selon le protocole républicain, il n’a pas non plus hésité à ouvrir la tribune du Palais-Bourbon aux chefs d’État étrangers (Juan Carlos, Bill Clinton, Hassan II…) sans se sentir lié par l’avis du ministère des Affaires étrangères. « Je pense, donc je dis » aurait pu être la devise de ce pupille de la nation qui n’aimait pas hurler avec les loups.
Né à Tunis, orphelin de père – ce dernier avait été tué, en 1944, dans les rangs des Forces françaises libres –, Séguin avait gardé cette liberté de parole pour juger son pays natal sans tenir compte des « grandes orgues » de la presse française. Dans les pas du général de Gaulle et de l’héritage historique et diplomatique de la « politique arabe » de la France, il n’hésitait jamais à défendre les progrès de la République tunisienne indépendante et jouissait de la confiance des présidents Mitterrand et Chirac pour maintenir la solidité des liens entre la France et le Maghreb.
Le président Ben Ali a été l’un des premiers chefs d’État à exprimer « sa profonde tristesse » en apprenant la disparition d’un « ami personnel ». Attaché à son pays natal, Séguin, qui fut élève du lycée Carnot de Tunis, avait lui-même inauguré, en avril 2002, l’Association d’amitié Tunisie-France, dont les locaux se situent dans sa maison natale du 4, avenue de Londres. Tout comme il avait tenu, en avril 2000, à assister aux obsèques de Habib Bourguiba pour le remercier « d’avoir mené une lutte de libération qui faisait davantage recours à la pédagogie qu’aux armes ».
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