Terrorisme : dans le piège d’Al-Qaïda
Afghanistan, Pakistan, Irak et, maintenant, Yémen et Somalie… la guerre contre les djihadistes ne cesse de s’étendre. Or non seulement elle est inefficace, mais elle fait le jeu des extrémistes.
La guerre de Barack Obama contre Al-Qaïda prend des proportions impressionnantes. Entamée en Afghanistan, elle s’est d’abord propagée aux régions tribales du Pakistan puis, plus récemment, au Yémen et en Somalie, avec quelques incursions en Afrique subsaharienne. Ces territoires ont plusieurs caractéristiques communes : ils sont musulmans, tribaux et pauvres. Alourdies par une logistique encombrante, les armées occidentales sont désavantagées par rapport aux combattants tribaux, plus légèrement armés et qui se fondent facilement dans la population civile.
Comme l’a montré la tentative d’attentat d’un jeune Nigérian contre un avion de ligne américain, le 25 décembre dernier, Al-Qaïda constitue toujours une menace pour les États-Unis. Il est tout aussi évident que Barack Obama doit faire la guerre à ces extrémistes. L’opinion américaine et son devoir de chef des armées l’exigent.
Mais cela est plus facile à dire qu’à faire. Pour de nombreux experts, la stratégie d’Al-Qaïda consiste, justement, à provoquer les Occidentaux pour qu’ils attaquent les pays musulmans, à commettre contre eux des actes terroristes pour les entraîner dans des guerres qu’ils ne peuvent pas gagner. Si cette analyse est exacte, le 11 septembre 2001 aura été un énorme piège – le plus grand de tous, puisqu’il a poussé les États-Unis à intervenir en Afghanistan, puis en Irak. Ces campagnes catastrophiques, leur coût matériel et humain, ont mené les États-Unis à une faillite financière et morale. Loin d’affaiblir Al-Qaïda, chaque raid meurtrier sur un village exacerbe le sentiment antiaméricain et incite de nouvelles recrues à rejoindre les rangs de cette organisation, surtout quand il y a des victimes civiles, ce qui est toujours le cas.
On peut se demander, dans ces conditions, si l’emploi de la force est le meilleur moyen de triompher d’un ennemi dangereux, si les chances de victoire passent par le déploiement de troupes supplémentaires en Afghanistan, par des opérations des forces spéciales américaines et par des tirs de missiles. Ne devrait-on pas privilégier d’autres solutions, économiques et politiques, pour isoler et neutraliser les combattants d’Al-Qaïda, dont le nombre – quelques centaines seulement, estiment les spécialistes – est en augmentation ?
Islam et codes tribaux
Dans de telles guerres, deux facteurs jouent un rôle mobilisateur et contribuent à faire basculer des hommes dans l’extrémisme. D’abord, la conviction qu’ils doivent défendre l’islam contre l’agression d’« infidèles ». Ensuite, leur obéissance à un code tribal qui exige, entre autres, de se venger de toute attaque extérieure. En Afghanistan, au Pakistan, au Yémen et en Somalie, les traditions restent très prégnantes. La loyauté à la tribu ou au clan prime le sentiment national. Chercher à imposer un modèle de société occidental à de tels pays par la force des armes est donc voué à l’échec.
Sur la chaîne de télévision Al-Jazira, Abou Bakr al-Kourbi, le ministre yéménite des Affaires étrangères, a fait savoir sans ambages que son pays ne voulait pas d’une intervention étrangère, mais qu’il avait besoin d’aide économique et de matériel militaire. Les attaques aériennes américaines déstabilisent et discréditent le gouvernement yéménite en le faisant passer pour un larbin de Washington. Elles produisent le même effet au Pakistan.
Selon Gregory Johnsen, spécialiste du Yémen à l’université américaine de Princeton, « les frappes militaires doivent intervenir à la fin du processus, lorsque Al-Qaïda aura été isolé, coupé de la population, et que sa rhétorique aura été discréditée, et non pas au début du processus, alors que ses membres sont toujours perçus comme des personnes pieuses qui défendent leur foi. » Il faut, prévient Johnsen, se garder d’assimiler tout musulman rigoriste à un membre d’Al-Qaïda. « Si l’on veut élargir la guerre et prendre toutes ces personnes pour cible en les mettant dans le même sac, on s’expose à une guerre interminable, car on sera obligé de se battre contre beaucoup trop de monde, au Yémen. » Avant de passer à l’offensive, conclut l’analyste, il faut que les États-Unis définissent le plus précisément possible qui appartient à Al-Qaïda, et cela au sens le plus étroit du terme. Son idée fondamentale est que l’approche militaire doit s’accompagner d’une aide au développement, puisque ce sont la pauvreté, le chômage, la corruption des gouvernements et le désespoir généralisé qui poussent les jeunes à prendre les armes contre les États-Unis et leurs alliés.
Privilégier l’issue politique
Des conférences internationales doivent se tenir à Londres, le 28 janvier, pour examiner la situation de l’Afghanistan et du Yémen. La lutte contre le terrorisme sera sans nul doute au cœur des débats. Il serait peut-être plus sage de donner la priorité à une issue politique à ces conflits. En Afghanistan et au Yémen, la médiation d’influents voisins ou de personnalités respectées, comme Lakhdar Brahimi, l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, pourrait aider à aboutir à un cessez-le-feu, ce qui créerait les conditions pour aplanir les différends.
La guerre du président Obama contre Al-Qaïda monte en puissance, entraînant chaque jour un peu plus les États-Unis dans un bourbier. En Afghanistan comme au Yémen, il faut une thérapie politique de choc, pas un choc des armes. Obama doit changer de toute urgence l’image des États-Unis dans le monde musulman pour qu’elle ne soit plus celle d’un ennemi, mais celle d’un partenaire. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il y a un an, c’est exactement ce qu’il avait essayé de faire. Mais comme George W. Bush avant lui, il est tombé dans le piège d’Al-Qaïda.
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