Jean Védrine, l’ami des damnés de la terre
Jean Védrine, père de l’ancien ministre des Affaires étrangères, ami très actif et dévoué d’un Maghreb en lutte pour son émancipation, est mort le 25 janvier dans la région parisienne. Il était, a révélé Si Bekkaï, l’homme que Mohammed V considérait, à l’égal de François Mauriac – mais sur un mode plus discret –, comme le Français qui avait contribué le plus efficacement à l’indépendance de son pays.
Né à Lyon, en 1914, dans une famille très modeste, Jean Védrine avait été l’élève des frères maristes – les éducateurs de Mauriac… Engagé très jeune dans une unité de chasseurs alpins, il avait été, la guerre venue, fait prisonnier en 1940 et interné dans un camp de Silésie d’où, gravement malade, il avait pu être rapatrié.
Entré au commissariat pour les prisonniers à Vichy, il y avait fait la connaissance de François Mitterrand, dont il allait devenir l’ami le plus intime. Passés dans la Résistance en 1943, comme leur chef de service Maurice Pinot, les deux hommes allaient se trouver au lendemain de la guerre l’un ministre – Mitterrand – et l’autre directeur de son cabinet au commissariat des prisonniers.
C’est à l’initiative du même Maurice Pinot, qui avait créé une affaire de parfums, que Jean Védrine découvrit le Maroc, pour lequel il éprouva un véritable « coup de foudre ». Dès lors, cet honnête homme consacre toute son énergie à l’émancipation du royaume chérifien, convainquant son ami Mitterrand de rejoindre « France-Maghreb » aux côtés de Louis Massignon et de Charles-André Julien. Ses démarches en vue de l’émancipation du Maroc conduisent alors Jean Védrine à se lier d’amitié avec Abderrahim Bouabid et le groupe des valeureux étudiants marocains militant à Paris.
Jean Védrine décoré de la Légion d’honneur par le président François Mitterrand, en 1982
Depuis lors, cet honnête homme, qui allait refuser toutes les offres de ministère et autres responsabilités à lui faites par son ami Mitterrand, voua sa vie à la défense des colonisés. À la tête du Club Propositions, qu’il avait fondé, on le vit arpenter le monde arabe, réclamant la justice pour le peuple palestinien. Atteint d’une grave maladie, il avait dû se retirer il y a quelques années à La Garenne-Colombes, dans la région parisienne.
Avec lui disparaît l’un des militants les plus valeureux parmi une pléiade d’hommes qui, sans se référer à une idéologie précise, ni puiser leur énergie dans tel ou tel conflit d’intérêts, avaient vu le Maghreb, réprouvé le traitement qui était infligé à ses peuples et décidé, en honnête homme, en homme libre, de contribuer à mettre fin à l’injustice coloniale. C’était un homme gai, cordial, ouvert aux autres, à l’imagination fertile, à l’accueil généreux. Un vrai citoyen du monde.
(Jean Lacouture, écrivain et journaliste)
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