Edition algérienne : entre dèche et débrouille

Alors que les écrivains qui ont la cote publient à l’étranger, les éditeurs algériens peinent à se structurer et à survivre.

Le Salon du livre d’Alger, en 2004 © Sipa

Le Salon du livre d’Alger, en 2004 © Sipa

Publié le 3 février 2010 Lecture : 4 minutes.

Pour sa 16e édition, les 6 et 7 février à Paris, le Maghreb des livres mettra à l’honneur les lettres algériennes, dont le succès est porté hors de leurs frontières par des auteurs comme Yasmina Khadra (traduit dans trente-huit pays), Boualem Sansal (Le Serment des barbares, Le Village de l’Allemand…), Assia Djebar (membre de l’Académie française), Salim Bachi (Le Silence de Mahomet) ou encore Maïssa Bey… Des écrivains qui sont d’abord publiés en France avant d’être édités dans leur pays natal. C’est que l’édition algérienne peine à se structurer. « Contrairement à l’Algérie, explique Yasmina Khadra, il y a en France des professionnels et des réseaux organisés. Paris est un tremplin vers l’international. Passer par un éditeur français permet d’être ensuite traduit et publié dans le monde entier. »

Pourtant, « l’Algérie publie aujourd’hui près d’un millier de titres par an et compte 70 éditeurs, s’enthousiasme Georges Morin, natif de Constantine et président de l’association Coup de soleil, qui organise le Maghreb des livres. Le pays est le douzième marché importateur de livres édités en France avec un chiffre d’affaires de 13 millions d’euros en 2008, juste derrière le Maroc et loin devant la Tunisie. »

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Il suffit d’entrer dans une librairie à Alger pour prendre la mesure d’un paysage éditorial contrasté. Il y a du bon, quelques pépites même, mais aussi des ouvrages comme ce « Dictionaire » [sic] mal imprimé et dont les pages se décollent… La qualité fait souvent défaut. Néanmoins, grâce à l’essor de l’édition privée, qui pèse aujourd’hui pour 80 % du secteur, le lecteur a gagné en choix.

Scolaire et parascolaire

« Le soutien du ministère de la Culture n’est pas anodin », reconnaît Selma Hell, des éditions Barzakh. Chaque année, il commande à tous les éditeurs de 1 000 à 2 000 exemplaires par ouvrage. Depuis dix ans, les salons du livre contribuent à développer le secteur. Lors de la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe » en 2007, l’État a consacré 3 milliards de dinars (29 millions d’euros) à l’édition ou la réédition de plus de 1 200 ouvrages en arabe et en français, publiés par les trois maisons publiques encore existantes (Enag, Anep, OPU) et une cinquantaine d’éditeurs privés.

Les maisons pérennes qui tiennent le haut du pavé éditorial se réduisent à une petite dizaine. Les éditions Chihab, créées en 1989, font figure de doyennes. Avec Casbah Éditions, fondée en 1992, elles mènent la danse grâce à un catalogue de plusieurs centaines de titres. La recette de leur succès ? Se positionner également sur le marché du livre scolaire et parascolaire – à dominante arabophone –, en pole position des ventes en librairie et dopé par les commandes des écoles (publiques et privées).

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Bien que plus jeunes et aux catalogues moins dotés, d’autres maisons se sont fait un nom : Barzakh, créée en 2000, dont sont saluées la qualité des romans et l’esthétique soignée ; Alpha (2006) qui s’est fait une spécialité des ouvrages d’histoire et que dirige Lazhari Labter (qui a donné son nom à une autre maison, laquelle a publié notamment un remarquable Panorama de la bande dessinée algérienne de 1969-2009) ; Apic, fondée en 2003 par Karim et Samia Chikh et dont l’une des collections est dédiée aux romanciers du continent. Quant à Média-Plus, lancée à Constantine en 1992 par Saïd Hannachi, il y a fort à parier que 2010 lui sera bénéfique avec, quelques semaines après sa parution française chez Julliard, la publication de L’Olympe des infortunes, de Yasmina Khadra, auparavant édité par Sedia. « Khadra est l’auteur le plus lu d’Algérie, se réjouit Saïd Hannachi. D’autres auteurs vendent aussi très bien, comme Assia Djebar, Kateb Yacine, Amin Zaoui, Anouar Benmalek, mais aussi les écrivains qui ont la cote en France, comme Marc Levy ou Jacques Attali. De manière générale, tout ce qui touche à l’histoire et à la mémoire de la guerre d’Algérie a beaucoup de succès. »

La plupart des ouvrages en arabe disponibles sont publiés par des éditeurs libanais et égyptiens, mais ces derniers sont boycottés depuis les événements qui ont eu lieu lors des qualifications pour la Coupe d’Afrique des nations. Les romans de l’Algérienne Ahlem Mosteghanemi, auteure à succès, sont édités hors du pays, au Liban pour l’essentiel. Mais quelques maisons algériennes s’y mettent, telle Ikhtilef, qui publie de jeunes auteurs et poètes, en plus de traductions en arabe.

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Bailleur de fonds

Autre obstacle : l’achat des droits d’auteurs publiés à l’étranger – dont ceux des écrivains algériens comme Yasmina Khadra. « Raison pour laquelle les éditeurs font appel à l’ambassade de France à Alger, précise Vincent Garrigues, attaché culturel, car nous avons développé une politique de soutien au livre algérien. Nous consacrons 220 000 euros par an au secteur. Et aidons les éditeurs à acquérir les droits en France à un tarif préférentiel – de 500 à 1 000 euros. Une vingtaine d’ouvrages en bénéficient chaque année, pour un tirage maximal de 1 000 exemplaires. » Pour ce Maghreb des livres, le service culturel de l’ambassade s’est mué en bailleur de fonds, prenant même en charge les billets d’avion des auteurs conviés.

Par ailleurs, le prix d’un ouvrage (entre 200 et 800 DA en moyenne, soit de 1,92 à 7,70 euros) se heurte à un pouvoir d’achat faible. Difficile pour l’éditeur et le libraire d’asseoir une marge importante. D’autant qu’aux coûts de fabrication s’ajoutent de nombreuses taxes. Dernière entrave en date, les mesures contenues dans la loi de finances complémentaire de 2009 visant à réduire les importations. Celles-ci ont aussi un impact sur les éditeurs, qui peinent à importer les matières premières, comme le papier, et les libraires, les livres. « J’attends depuis trois mois un beau-livre de photographies de Constantine et de sa région vus du ciel, que j’ai commandé à Yann Arthus-Bertrand pour l’éditer moi-même », fulmine Saïd Hannachi.

Si de belles surprises continuent de paraître en termes de romans, d’essais et de bandes dessinées, c’est grâce à la volonté de quelques passionnés. Mais la passion peut vite s’éroder à force de difficultés et faute d’une vraie politique du livre. « C’est un combat titanesque », tranche Yasmina Khadra. 

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