Crimes et châtiments en Guinée

Directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy

Publié le 4 janvier 2010 Lecture : 3 minutes.

Aboubacar « Toumba » Diakité, l’ancien aide de camp de ­Moussa Dadis Camara, chef de la junte ­guinéenne, n’y est pas allé par ­quatre chemins pour avouer son forfait : « Je lui ai tiré dessus du côté de la nuque. » Et il accuse son chef de double trahison en voulant lui faire porter le chapeau des massacres de civils, le 28 ­septembre au stade de Conakry. Et de n’avoir pas respecté la démocratie, fumeux objectif jadis agité comme un chiffon rouge par les putschistes en vue d’anesthésier les Guinéens, qui en avaient assez des hommes en armes.

Pour un militaire, une tentative d’assassinat est passible de la peine capitale devant la cour martiale, quelles que soient par ailleurs les raisons invoquées. La participation, directe ou indirecte, aux événements du 28 septembre lui vaut l’accusation de crimes contre l’humanité, car les massacres de civils font partie « des infractions particulièrement graves, consistant en des traitements inhumains et dégradants », tout comme les viols et les disparitions forcées de ­personnes, ­selon le droit international humanitaire.

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Diakité doit, sans délai, se constituer prisonnier auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Il devra dire toute la vérité sur l’identité des tueurs et leurs commanditaires. En retour, il pourrait, la conscience soulagée, attendre le verdict de la CPI, qui, dans le meilleur des cas, lui infligerait quelques années de prison. Dans le pire des cas, la perpétuité : nul ne peut être à la fois le diable et le fils du bon Dieu.

Au-delà du sort hypothétique du soldat « Toumba » Diakité, sa charge contre Moussa Dadis Camara met à mal toute la junte, obligée soit de lui emboîter le pas et de tirer un trait sur ce règne éphémère, soit de soutenir le chef de la junte et être lié à son sort, si l’on s’en tient aux conclusions de la commission d’enquête de l’ONU sur les massacres de Conakry. Pour l’instant, l’émiettement de l’armée guinéenne en plusieurs factions rivales présage de batailles épiques pour en prendre le contrôle. Si, malgré les soins, le numéro un de la junte disparaissait ou se trouvait dans l’impossibilité physique de diriger, le ministre de la Défense, qui a quelques cartes en main, notamment son capital de crédibilité, pourrait distancer ses concurrents éventuels. En revanche, si le capitaine Camara revenait sain et sauf, il reprendrait la tête de la junte, poussant les crocodiles qui se cachent dans le marigot à aller à l’abordage.

En attendant, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et son médiateur désigné, le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, n’ont pas encore perdu la partie. Le secrétaire général de l’organisation a lancé l’idée d’une force chargée de protéger les civils et de distribuer l’aide humanitaire. Quelle peut être la nature de cette force ? S’agit-il de ressusciter l’Ecomog, la force d’interposition de la Cedeao, qui, naguère, avait croisé le fer avec les rébellions du Liberia ? Rien n’est moins sûr, car le Nigeria d’Olusegun Obasanjo, en quête de puissance régionale, n’est pas celui d’Umaru Yar’Adua, dont l’état de santé chancelant n’est pas un gage de sécurité. Le Sénégal, qui dispose d’une puissance de feu significative pour jouer les entremetteurs, a vu ses cartes biseautées après l’adoubement précoce du capitaine Camara par le président Abdoulaye Wade. Il reste Blaise Compaoré, dont la maîtrise de la « science militaire », sinon la « philosophie des casernes », a permis, vaille que vaille, la réussite des médiations au Togo et en Côte d’Ivoire. ­Saura-t-il dompter la junte et l’opposition afin que, au-delà de leurs intérêts ­légitimes, elles veuillent bien sauver leur patrie en danger ? Il n’est jamais trop tard pour mieux faire.

L’Union africaine, qui n’a su juguler ni le coup d’État en Mauritanie ni la prise de pouvoir par la rue à Madagascar, se contentant de demander aux présidents démocratiquement élus de rendre leur tablier sous la pression des forces armées, ne sait à quel saint se vouer. Quoi qu’il en soit, nul ne peut faire le bonheur de la Guinée en lieu et place des Guinéens, civils ou militaires. Sont-ils conscients de leur responsabilité devant l’Histoire, face à la partition qui se joue en ce moment ? Wait and see ! 

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