L’imaginaire national estampillé

Les timbres édités aux premières heures des indépendances révèlent l’état d’esprit des hommes au pouvoir et préfigurent les futures tensions.

Publié le 31 décembre 2009 Lecture : 2 minutes.

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Il était une fois… les indépendances de 1960

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Quoi de plus anodin qu’un timbre ? Sauf si l’on est philatéliste, on ne prête généralement guère attention à ce petit morceau de papier aux représentations officielles et codifiées. Pourtant, « les premiers timbres des pays africains indépendants révèlent beaucoup sur l’état d’esprit politique de ces pays en 1960. Le timbre est avant tout un emblème du pouvoir », explique Pascal Blanchard, historien français et cofondateur du groupe de recherche Achac sur le postcolonialisme.

Imaginaire national

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Définis et contrôlés depuis le XIXe siècle par les puissances coloniales, les timbres africains doivent en 1960 s’inventer un imaginaire national. Comme d’autres emblèmes, tels la monnaie et le drapeau, le timbre est un enjeu symbolique fort : vu par tous, largement diffusé, il est chargé de faire entrer les idées nouvelles dans les esprits. Et notamment celles, tout d’abord, des hommes fraîchement arrivés au pouvoir.

Rares sont les pays qui n’ont pas mis en effigie leur nouveau dirigeant : Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, Hubert Maga au Dahomey (futur Bénin), Modibo Keïta au Mali. D’autres États, comme le Cameroun, choisissent aussi de représenter leurs frontières. « Ces images visent à appuyer la légitimité des États, explique Pascal Blanchard, mais il est aussi étonnant de voir comment, dès 1960, elles mettent le doigt sur les tensions. Les portraits annoncent une certaine tendance à la personnification du pouvoir. Les cartes, comme celle du Cameroun, affirment des frontières déjà contestées. »

Continuité coloniale

Tous les timbres n’ont cependant pas une telle portée politique. Beaucoup restent dans la lignée des images mises en place au temps des colonies : les us et coutumes, la faune et la flore, les masques… « Il n’y a pas de rupture forte, confirme Pascal Blanchard. Les États se contentent de récupérer les icônes mises en place par les précédents pouvoirs. »

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Des anciens pouvoirs qui ont par ailleurs gardé un rôle crucial dans la production de ces timbres : « Si vous regardez la technique de gravure et les noms des artistes, les timbres de la plupart des États nouvellement indépendants sont en fait de fabrication française », explique Alain Odoul, philatéliste spécialisé dans la vente de timbres africains à Paris.

Si les jeunes nations choisissaient bien les sujets à reproduire, elles ne possédaient que rarement les moyens techniques et humains pour les éditer. Dès 1956, ce sera donc une agence française, le Beptom, c’est-à-dire l’ex-Poste d’outre-mer, qui assurera la production des timbres de ses anciennes colonies ; et ce du dessin (réalisé exclusivement par des artistes français) jusqu’à l’impression ! Le Beptom fonctionnera ainsi jusqu’en… 1994!

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