A la recherche de la gloire perdue

Mauvaise programmation, manque de financements, l’âge d’or de la création marocaine des années 1960 est révolu. Pourtant, quelques heureuses initiatives tentent de renouer avec un théâtre populaire de qualité.

Maquette du futur théâtre de Casablanca © CasArt

Maquette du futur théâtre de Casablanca © CasArt

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Publié le 7 janvier 2010 Lecture : 4 minutes.

En 2014 doit être inauguré à Casablanca le plus grand théâtre d’Afrique et du monde arabe. Baptisé CasArt, ce projet grandiose, au budget colossal de 1 milliard de dirhams (près de 88 millions d’euros), abritera une salle polyvalente de 2 000 places, des salles de répétition, des galeries d’art et une librairie sur une surface de 24 000 m2. À Rabat aussi, un théâtre national flambant neuf devrait voir le jour dans le cadre du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg. « Il est étonnant, remarque le dramaturge et journaliste Driss Ksikes, de constater la dichotomie entre l’ambition des pouvoirs publics pour faire émerger des infrastructures de haut niveau et la réalité de l’activité théâtrale, en crise depuis près de vingt ans. »

Le Maroc a, en effet, été une grande terre de théâtre et le public se souvient avec nostalgie de cet âge d’or où les planches étaient aussi populaires que le cinéma commercial l’est aujourd’hui. Dans les années 1960-1970, cette émulation est incarnée par Tayeb Saddiki, acteur et chef de troupe, qu’un quotidien français avait désigné comme « l’un des meilleurs comiques au monde ». À la fin des années 1950, il crée Masrah Ennas (« le théâtre des gens »), la première troupe professionnelle du royaume. Un peu à l’image du TNP de Jean Vilar, ce théâtre va à la rencontre du public et présente les grands classiques, de Molière à Aristophane, en les adaptant à la sauce marocaine. C’est la naissance d’une tradition proprement nationale, dans laquelle les dramaturges cherchent à être populaires sans verser dans le populisme et à attirer les foules, tout en leur proposant des textes difficiles mais traduits en darija (arabe dialectal).

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Ennemis invisibles

Aujourd’hui, l’enthousiasme est largement retombé et le théâtre national n’est plus que l’ombre de lui-même. Critiqué pour son manque de ressources mais aussi pour la mauvaise qualité des représentations et des textes proposés, il a perdu de son lustre. « Dans la seule ville de Casablanca, il y a près de douze complexes culturels. Mais les salles souffrent d’un manque de financements, d’une mauvaise programmation et d’une mauvaise gestion. Au théâtre Mohammed-VI, vous ne trouvez même pas de projecteurs ! » se désole Driss Ksikes. Si les pièces de boulevard attirent un public en mal d’amusement, le temps de la ferveur populaire et de l’exigence intellectuelle semble bien loin.

« Les revendications des professionnels du théâtre ne sont toujours pas satisfaites et la loi sur le statut de l’artiste de 2003, insuffisante, tarde à être réformée », regrette Hassan Nafali, le président du syndicat national. Sans volonté politique en amont, sans producteurs et promoteurs de spectacles, sans comédiens capables de vivre de leur art, difficile d’offrir un théâtre de qualité. À ces contraintes matérielles s’ajoute ce que le dramaturge mexicain Victor Hugo Rascón Banda appelait des « ennemis invisibles : l’absence d’éducation artistique, la pauvreté qui éloigne les spectateurs des lieux de spectacle, l’indifférence et le mépris des gouvernements qui devraient le promouvoir ».

Poches de créativité

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Pour autant, le tableau n’est pas si noir. À bien y regarder, il reste des poches de créativité qui tentent de maintenir en vie la tradition théâtrale marocaine. On compte aujourd’hui près de trente troupes professionnelles et un festival, celui de Meknès, lancé en 2005. Symbole de ce renouveau, Driss Ksikes a repris, avec le metteur en scène Jaouad Essounani, la troupe Daba Théâtre (« théâtre maintenant ! »). « C’est un théâtre élitiste pour tous », aime-t-il à répéter. Cette compagnie se conçoit comme un laboratoire artistique où danse, vidéo et musique viennent nourrir la pratique dramaturgique. « Nous voulons dépoussiérer le théâtre marocain, qui est aujourd’hui patrimonial et misérabiliste, fondé sur le seul texte, poursuit-il. Il faut à la fois faire réfléchir le public et avoir une vraie préoccupation esthétique. »

Depuis 2007, la troupe du Daba Théâtre est passée à la vitesse supérieure. Ses acteurs ont obtenu une résidence de deux ans à l’Institut culturel français et proposent tous les mois une nouvelle représentation. Son concept « les infos au théâtre », qui consiste à utiliser l’actualité comme matière dramaturgique, remporte un franc succès. « Le plus important, c’est de redonner aux gens le goût du théâtre et de respecter le public marocain, qui est particulièrement exigeant. D’ailleurs, dès que le théâtre Mohammed-V de Rabat programme des pièces de qualité, les spectateurs répondent présent et on dénombre une moyenne de 400 personnes par représentation », rappelle Driss Ksikes.

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Avec Faouzi Bensaïdi ou Fadel Youssef, Ksikes est l’un des rares auteurs dramatiques du pays à faire jouer ses pièces au Maroc et à l’international. Sa pièce il a été présentée, le 20 décembre, à Bruxelles et le sera à Marseille, en 2010. Il avait provoqué l’émoi lors des premières représentations au Maroc. Beaucoup s’étaient étonnés qu’on puisse parler aussi librement de sexe, de religion et de politique. « C’est désolant mais, aujourd’hui, la plupart des dramaturges s’autocensurent pour obtenir des subventions. Or, sans liberté de ton, il ne peut y avoir un théâtre de qualité », conclut Kiskes.

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