Sarkozy a-t-il perdu la main ?
L’énergie et le bagout qui faisaient sa force donnent désormais l’impression d’une agitation stérile, tandis que sa politique d’ouverture déconcerte la droite traditionnelle. Pourtant, les adversaires de Nicolas Sarkozy seraient bien imprudents de l’enterrer trop tôt.
Les Français sont, on le sait, râleurs. Seraient-ils aussi des ingrats ? Croissance, emploi, déficits : dans tous ces domaines, la France s’en sort plutôt mieux que d’autres pays européens. Nul ne dénie à Nicolas Sarkozy son dynamisme. Sa gestion de la crise, à l’automne 2008, et son bilan à la présidence de l’Union européenne (de juillet à décembre 2008) ont été unanimement salués. Dans ces circonstances difficiles, ses initiatives et son volontarisme avaient fait mouche et l’avaient aidé à faire oublier le fameux « bling-bling » des premiers temps. La soirée au Fouquet’s, son escapade sur le yacht de son ami Vincent Bolloré, ses errements sentimentaux conclus par un remariage hâtif avec une ex-top model fraîchement rangée des voitures… Tout ce tape-à-l’œil avait tapé sur les nerfs des Français. Surtout des électeurs âgés de la droite traditionnelle, de vieux grincheux, peut-être, mais qui avaient voté pour lui et n’appréciaient guère ces manières de parvenu.
Aujourd’hui, de nouveau, le fossé se creuse avec l’opinion. À la mi-mandat et à quatre mois des élections régionales, les sondages sont de plus en plus mauvais. Bien ancrée sur le plan local (elle gère déjà 20 des 22 régions), la gauche se prend à rêver d’un grand chelem face à une majorité qui, poussée par Sarkozy, a choisi de faire campagne sur le bilan du gouvernement. Or, selon le dernier baromètre TNS Sofres de décembre, seuls 34 % des Français se disent satisfaits de l’action du chef de l’État, et 63 % mécontents. Après avoir placé tant d’espoirs dans ce candidat qui leur promettait monts et merveilles, ils se sont rendu compte qu’un omniprésident n’est pas forcément le Père Noël.
Message brouillé
C’est surtout depuis la rentrée de septembre que l’incompréhension paraît s’être installée durablement entre un Sarkozy vexé de se démener sans obtenir une cote d’amour proportionnelle à ses efforts et des électeurs déçus de le voir s’égarer sur des chemins de traverse.
À qui s’adresse-t-il, au fond ? À la droite, à la gauche ? Le message semble de plus en plus brouillé, le style de plus en plus brouillon. Ce qui faisait la force de Sarkozy – sa « niaque », son bagout, son énergie – passe désormais pour de l’agitation, du bruit, du vide. On lui reproche de trop parler et, du coup, on ne l’écoute plus. De trop se montrer dans les médias, au point qu’on ne le voit plus. D’avoir concentré tous les pouvoirs, et donc d’être responsable de tout ce qui va mal. On lui en veut, surtout, de ses contradictions. D’avoir, dans un discours, fait l’éloge du mérite au moment où son fils Jean – 23 ans et pas de qualification particulière – briguait la tête de l’Epad, l’organisme qui gère le quartier d’affaires de la Défense. Le président a eu beau reculer et, même, admettre avoir commis une « erreur », le mal était fait.
Sa politique d’ouverture laisse la même impression d’incohérence à un électorat de droite un peu déboussolé. Non content d’avoir accueilli des personnalités de gauche dans son gouvernement (d’Éric Besson à Fadela Amara en passant par Bernard Kouchner et Martin Hirsch), Sarkozy a confié des missions ponctuelles à Michel Rocard, Jack Lang ou Jacques Attali, l’ancien conseiller de François Mitterrand. Puis a fait des appels du pied aux écologistes avec la taxe carbone, emboîté le pas au travailliste Gordon Brown pour taxer les bonus des traders et laissé filer la dette, qui atteint un niveau record (77,1 % du PIB en 2009, 84 % prévus en 2010).
Mais, apprenant que le Front national remontait dans les sondages, il s’est lancé dans la reconquête des électeurs de droite en enfourchant les bons vieux thèmes de l’insécurité et de l’immigration, et s’arc-boute sur son refus d’augmenter les impôts. Pas question, par exemple, de revenir sur le principe du bouclier fiscal, ce « cadeau aux riches » dénoncé par l’opposition depuis son adoption en début de mandat et que quelques éléments de sa majorité trouveraient de bon aloi d’édulcorer en ces temps de crise.
Qui trop embrasse…
En agissant « tous azimuts pour éviter que la France ne se crispe sur un seul point », en menant « toutes les réformes de front » (plus fort que Barack Obama qui, « lui, ne mène que la réforme du système de santé » !), en faisant le grand écart entre politique de droite et ouverture à gauche, Sarkozy s’est coupé d’une partie de sa base électorale et n’a pas réussi à élargir son audience. Qui trop embrasse mal étreint ?
Pas dupes, les Français jugent artificiel le débat sur l’identité nationale. Ils se soucient davantage de la progression inquiétante du chômage, qui pourrait atteindre 10 % de la population active en 2010, et de leur pouvoir d’achat, qu’ils ne voient pas s’améliorer. L’hyperactivité de Sarkozy leur donne l’impression d’une improvisation permanente, d’un saupoudrage de réformes dont ils mesurent mal les effets. Inquiets pour l’avenir de leurs enfants, ils ne décèlent dans sa démarche ni véritable stratégie ni projet fédérateur. « Il était un leader parfait ; aujourd’hui, chacun de ses actes suscite la controverse et il prend des décisions contradictoires. Que lui arrive-t-il ? » s’émeut le magazine Time.
Chef incontesté d’une droite unie, Sarkozy continuait, depuis l’Élysée, à diriger l’UMP, le parti de la majorité, ravalant le Premier ministre au rang de « collaborateur » et ramenant le Parlement à la portion congrue, contrairement à ses promesses de campagne. Aujourd’hui, le « chef » fait face à une fronde de cette même majorité. Une soixantaine de députés lui reprochent le manque d’ambition du grand emprunt, d’autres la maladresse du débat sur l’identité nationale. Certains quittent le navire, comme le député Hervé de Charette (pour relancer l’UDF, le parti fondé par Valéry Giscard d’Estaing) ou Jean-Luc Romero, l’ancien secrétaire national de l’UMP (pour rejoindre le Parti socialiste). Même Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet de Sarkozy et chargée, à l’Élysée, des dossiers sensibles, regagne le Conseil d’État pour « prendre du recul ».
Ce ne sont plus seulement les vieux rancuniers (Dominique de Villepin) ou les jeunes critiques comme Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l’Assemblée, et Rama Yade, la secrétaire d’État aux Sports, qui font entendre une voix discordante, mais des soutiens de poids en la personne de trois anciens Premiers ministres : Édouard Balladur, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin. Au Sénat, ce dernier a pris la tête de la révolte contre les modalités de la réforme de la taxe professionnelle, une manne dont les barons locaux ne veulent pas se priver.
Sarkozy aurait-il perdu la main ? Pendant sa campagne, il était parvenu à séduire aussi bien les habitants des quartiers chic que les ouvriers, exaspérés par l’insécurité. Aujourd’hui, le charme n’opère plus. De là à imaginer qu’il pourrait être battu à l’élection présidentielle de 2012, voire renoncer à briguer un second mandat, il n’y a qu’un pas… qu’il faut se garder de franchir.
Syndrome de la mi-mandat
D’abord parce que la gauche reste faible, désunie et en panne de projet. Ensuite parce que Sarkozy est peut-être la victime (du moins est-ce son sentiment) du « syndrome de la mi-mandat » : mai 1968 pour de Gaulle, trois ans après sa réélection ; municipales calamiteuses pour Giscard, en 1977 ; tournant de la rigueur pour François Mitterrand, en 1983 ; dissolution ratée de l’Assemblée nationale pour Chirac, en 1997.
Fort de son inaltérable confiance en lui-même, Sarkozy est convaincu de pouvoir rebondir. « Si on a peur, on ne fait pas de politique » : c’est en vertu de cette maxime qu’il exclut de changer de cap. Ainsi, il n’a pas l’intention de relâcher le rythme de ses déplacements en province (déjà près de trois cents), de ses interventions médiatiques et des réformes. Celles de la seconde partie du mandat (collectivités locales, lycées, financement du risque dépendance, retraites, etc.) sont censées donner un second souffle à son action. « J’incarne la réforme, c’est là-dessus que je gagnerai », répète-t-il. On en saura plus en 2010. Et on sera définitivement fixés en 2012.
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