Ce que regardent les Algériens

La moitié des téléspectateurs préfèrent les émissions étrangères à l’offre nationale, qu’ils jugent médiocre. Et – fait nouveau – les chaînes moyen-orientales et maghrébines ont détrôné leurs consœurs françaises.

Principal atout des chaînes égyptiennes : les émissions de pré-prime time © Louiza Ammi pour Jeune Afrique

Principal atout des chaînes égyptiennes : les émissions de pré-prime time © Louiza Ammi pour Jeune Afrique

Publié le 14 janvier 2010 Lecture : 5 minutes.

Jamais les Algériens n’avaient paru si désemparés devant l’in­­­­­digence de leur paysage audiovisuel. En cause : la double confrontation entre leur équipe nationale de football et son homologue égyptienne. D’abord au Caire, le 14 novembre, puis à Khartoum, quatre jours plus tard. Cet événement a donné lieu à une guerre médiatique sans précédent. Les noms d’oiseaux ont fusé de toutes parts.

Face à l’artillerie lourde égyptienne représentée par une centaine de chaînes de télévision du bouquet Nilesat, hébergées par le satellite éponyme, les cinq chaînes algériennes, toutes publiques (voir encadré), avaient des allures de soldats perdus au milieu du champ de bataille. À la modernité des talk-shows de l’égyptienne Dream TV (secteur privé) répliquait l’austérité des émissions de Canal Algérie aux décors antédiluviens et à la réalisation gros­sière, chahutée par un éclairage approximatif. S’agissant du contenu, et en sus de leur sobriété habitu­elle, les chaînes algériennes, soumises aux injonctions de leur tutelle gouvernementale, ont reçu instruction de ne pas répondre aux attaques égyptiennes… au grand dam de leurs téléspectateurs. 

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Monopole d’État

Près d’un demi-siècle après l’indépendance du pays, il a fallu attendre trois décennies pour que soit introduit le multipartisme, et quatre pour l’ouverture économique avec une libéralisation « irréversible » du marché. Mais toujours point d’ouverture du champ audiovisuel. Les plus hautes autorités du pays, le président Abdelaziz Bouteflika en tête, rejettent l’idée de la levée du monopole d’État sur la radio et la télévision.

L’épisode des événements consécutifs au match du Caire a donné des arguments aux pouvoirs publics. « La rumeur de décès d’une dizaine de supporteurs algériens en Égypte a été relayée par la presse écrite privée, argumente un proche conseiller du président Bouteflika. On connaît l’impact immédiat de la télévision sur l’opinion. Si une chaîne algérienne avait repris l’information, nous aurions assisté au lynchage de tous les Égyptiens installés en Algérie. » Toutes les chaînes publiques, qui dépendent de l’Entreprise nationale de télévision (ENTV), ont quant à elles passé en boucle un bandeau démentant la mort de supporteurs au Caire. La rue était alors en ébullition et les intérêts économiques égyptiens la cible d’Algériens en colère après le caillassage, en Égypte, du bus transportant les joueurs de leur équipe.

Pas moins exigeants que les autres, les téléspectateurs algériens n’ont donc d’autre choix que de zapper et d’user à outrance de leur télécommande, prolongement de la parabole qui trône sur leur balcon ou leur terrasse. Malgré la médiocrité des programmes et la qualité douteuse de l’information, un Algérien sur deux reste fidèle aux chaînes nationales. Pour ce qui est des télévisions étrangères, les chaînes françaises, qui jusqu’à présent arrivaient en tête en termes d’audimat en Algérie, ont été détrônées par leurs consœurs moyen-orientales. Selon le chercheur algérien Lotfi Madani, le taux de pénétration de TF1 frôlait les 30 % au milieu des années 1990. Une étude de Sigma Conseil montre que cette performance est retombée à 17 % en 2007. La révolution numérique et la mise en orbite de nouveaux satellites ont bouleversé la donne. Désormais, les chaînes arabes détrônent TF1, M6, France Télévisions et Canal +. L’offre est aujourd’hui considérable : une dizaine de bouquets proposant plus de 300 chaînes. 

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Bras de fer médiatique

Les groupes saoudiens MBC (propriété des Al Ibrahim, proches du palais de Riyad) et ART (du magnat Al-Walid Ibn Talal) ont longtemps tenu tête aux très attractifs concurrents égyptiens hébergés par Nilesat : feuilletons de pré-prime time, téléréalité respectant les conservatismes et cinéma à l’eau de rose, comme l’apprécient tant les Algériens. Cependant, ce sont les chaînes religieuses qui ont le plus de succès. La saoudienne Iqraa (« Lis », du verbe lire, premier mot révélé du Coran), l’égyptienne Al-Nass (« Les gens ») ou encore l’iranienne Alkawthar TV (arabophone) sont les plus regardées en Algérie. À tel point que les télécoranistes Amr Khaled ou Safwat Hijazi sont devenus de véritables stars dans le pays de Bouteflika.

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Le récent bras de fer médiatique entre l’Algérie et l’Égypte a profité à deux chaînes. L’une maghrébine, la seconde française. Fondée par les frères Karoui, Nessma a été la seule du paysage audiovisuel arabe à se ranger aux côtés des Algériens quand les autres médias maghrébins ou moyen-orientaux ont privilégié la version égyptienne. À l’instar, entre autres, d’Al-Jazira, elles ont accusé les joueurs algériens d’avoir orchestré une mise en scène pour disqualifier l’Égypte. Nessma, qui se dit « chaîne de tous les Maghrébins », est devenue ainsi celle de tous les Algériens. Son talk-show quotidien, Ness Nessma (« Les gens de Nessma », sorte de Grand Journal version Maghreb), est devenu un rendez-vous incontournable. En outre, elle a recruté les animateurs algériens les plus talentueux, invité les artistes nationaux les plus populaires. Et s’est débarrassée du carcan de la langue arabe « châtiée » usitée par la télévision algérienne. Selon une enquête réalisée par l’Institut d’études algériennes (IEA) en août 2009, avant les événements du Caire, Nessma est la seule chaîne arabe à avoir enregistré une hausse de 5 % en termes de notoriété. Gageons qu’elle sera le principal bénéficiaire de la perte d’audience des chaînes égyptiennes.

Canal + en odeur de sainteté

Autre chaîne à avoir acquis la reconnaissance du public : Canal +. Pourtant, cette dernière a longtemps été perçue comme hostile à l’Algérie. En cause, ses documentaires sur l’insurrection islamiste. Entretenant le doute sur l’identité des auteurs des massacres collectifs de villageois dans les années 1990, Canal + avait cessé d’être « la télé porno du samedi soir » ou celle du foot européen, pour devenir celle du « qui tue qui ? ». Mais tout cela a été pardonné. Une heureuse coïncidence a fait que Guillaume Pivot, journaliste de la chaîne cryptée, était dans le bus des joueurs algériens. Ses reportages ont soigné l’image de Canal +. Il est trop tôt pour en mesurer l’impact, mais les abonnements au bouquet Canal + ont explosé. Canal Overseas ne communique pas encore de chiffres, mais les agents locaux de distribution du bouquet Canal évoquent une « explosion de la demande d’abonnement ».

La qualité du travail de Guillaume Pivot, devenu une référence en Algérie, a démontré à quel point dirigeants, journalistes et techniciens de l’ENTV manquent de savoir-faire. En attendant l’ouverture de l’audiovisuel, les créateurs et autres vidéastes exercent leur talent sur les réseaux sociaux d’Internet. Un simple clic sur Facebook, Dailymotion ou YouTube permet d’apprécier la créativité des jeunes Algériens interdits d’accès au 21, boulevard des Martyrs à Alger, porte d’entrée de l’ENTV. 

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