Que reste-t-il des hommes intègres ?

Autrefois champion de la lutte contre la corruption, le pays n’est plus exemplaire. En cause : la culture de l’impunité.

Publié le 12 janvier 2010 Lecture : 4 minutes.

« Bienvenue aux hommes intègres sur cette terre de dignité. » Pendant plusieurs années, le fronton de l’aéroport de Ouagadougou affichait ce slogan « révolutionnaire » censé marquer l’esprit des visiteurs. Effacé par le temps, puis carrément repeint, il a disparu. Concrètement, que reste-t-il de cet engagement contre la corruption ? Beaucoup de discours, quelques organes de contrôle d’État et des ONG très actives, pour des résultats finalement assez décevants.

Aujourd’hui, « au pays des hommes dits intègres, la morale n’agonise plus. Elle est déclarée morte ». C’est en tout cas le diagnostic fait en mai dernier à Ouagadougou lors du Forum des citoyens de l’alternance. Journalistes, partis d’opposition, organisations non gouvernementales, tous tirent la sonnette d’alarme.

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« Mauvais perdants »

Côté gouvernement, il y a une volonté affichée de mettre de l’ordre, et le Premier ministre Tertius Zongo en a fait une de ses priorités. Il y avait une Haute Autorité de coordination de la lutte contre la corruption, un Comité national d’éthique, la Cour des comptes, l’Inspection générale d’État, la Coordination nationale de lutte contre la fraude… Et au final peu d’efficacité.

L’an dernier, ces structures ont été rationalisées autour d’une Autorité supérieure du contrôle d’État, dotée d’un budget important (800 millions de F CFA par an, soit 1,2 million d’euros) et d’une quinzaine de permanents. « Le pays a évolué et il y a un lien entre développement économique et corruption. Cette dernière est une réalité. Il ne faut pas se voiler la face », reconnaît Henri Bruno Bessin, le contrôleur général d’État à la tête de cette ­superstructure.

Les secteurs les plus corrompus sont les douanes, les impôts, la police, suivis de la santé et l’éducation. Au 79e rang en 2009 sur 180 du classement de Transparency International, le Burkina est mieux classé qu’en 2007 où il était à la 105e place. Il est bien mieux placé que la plupart des pays africains. Cependant, selon l’enquête annuelle du Ren-Lac, le réseau national d’ONG en lutte contre la corruption, près de la moitié des Burkinabè et 55 % des Ouagalais ont été victimes ou témoins directs d’un fait de corruption.

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Concours truqués

« C’est une perception et c’est exagéré. Dès qu’il y a un problème ou un malentendu avec un fonctionnaire, on se répand partout et on généralise », estime Soungalo Ouattara, ministre de la Fonction publique. « L’État est le plus gros employeur. Chaque année, nos concours suscitent beaucoup d’espoir. Avec 360 000 candidats pour environ 10 000 postes, forcément, il y a ­toujours des mauvais perdants », poursuit le ministre. 

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Il n’empêche. Après la révélation de fraudes graves, le ministère a dû revoir toute l’organisation des concours. « Nous avons décongestionné et décentralisé. Et cette année, personne n’est venu se plaindre », indique le ministre, qui insiste sur la limitation des intermédiaires et la multiplication des guichets uniques. Désormais, tous les ministères ont un « conseil de discipline » chargé des sanctions internes.

Pourtant, du côté des ONG, l’impression qui domine est la ­persistance d’une « culture d’impunité ». En ­quelques années, le pays est passé du temps des tribunaux populaires de la révolution, les fameux TPR, où étaient jugés, de façon parfois expéditive, les responsables de malversations, à un grand laxisme.

« Les gros poissons coulent des jours ­tranquilles »

« Les seuls qui sont sanctionnés ­relèvent du menu fretin. Les gros poissons coulent des jours ­tranquilles », dénonce Blaise Sondo, secrétaire exécutif du Ren-Lac. Le Forum des citoyens va plus loin en dénonçant le « tandem impitoyable des corrupteurs et corrompus, qui met toute la société en coupe réglée ». « Tenter d’y résister équivaut à s’attirer des ennuis ; dénoncer les coupables, encore davantage », conclut le rapport.

« Que dois-je faire alors du menu fretin ? Le relâcher et attendre qu’il devienne du gros poisson ? Personne n’est protégé et je ferai mon travail jusqu’au bout », assure Bruno Bessin. Dans son premier rapport d’activité, sur neuf structures publiques auditées, quatre ont révélé des malversations, pour un montant total de 92 millions de F CFA. Quant aux contrôles des départements ministériels, ils ont mis au jour plus de 275 millions de F CFA de malversations diverses.

Dans le nord de la ville, le quartier de Ouaga 2000 cristallise ­toutes les critiques. La grande ­plaine lunaire où les logements précaires avaient été dégagés à coups de bulldozer est devenue une vitrine pour tous les nouveaux riches. « On l’a surnommée “Ouagada 2000”, le coin des voleurs ! » raconte un journaliste. « À côté des riches qui vivent dans l’opulence et le gaspillage, d’autres croupissent dans la misère. Le contraste est si saisissant que l’on se demande comment notre société a pu en arriver là », indique le Forum des citoyens, qui dénonce l’existence d’une « mafia ». 

Impunité

« Il y a collusion entre pouvoir politique et pouvoir ­économique », diagnostique Chrysogone Zoug­moré, du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des ­peuples (MBDHP). « La corruption, les prébendes et les passe-droits sont devenus systématiques et ­systémiques », ajoute-t-il.

Quelques affaires ont récemment défrayé la chronique, comme celle de l’homme d’affaires Salif ­Kossouka Ouédraogo, soupçonné de tentative de meurtre et remis en liberté, ou celle de ce directeur général des douanes convaincu de fraude et également sorti de ­prison, ou encore celle de ces cadres en quête de logement qui auraient bénéficié de « facilités » de la part de la Caisse nationale de sécurité sociale.

La presse ne cesse de dénoncer des scandales, comme les ONG. « Quand on leur demande ce qu’ils font pour lutter contre la corruption, les politiques renvoient à nos rapports. On sert parfois de caution, reconnaît un militant. Et pendant ce temps, le business continue… »

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