Théâtre : la tragédie d’Allah

Laurent Maurel transforme le roman d’Ahmadou Kourouma Allah n’est pas obligé en farce carnassière. Et assume la gageure de rire de l’horreur.

Publié le 24 décembre 2009 Lecture : 3 minutes.

En écrivant Allah n’est pas obligé, Ahmadou Kourouma ne se doutait certainement pas qu’un jour Brahima, ­l’enfant soldat dont il retrace l’itinéraire dans ce roman qui lui valut le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens en 2000, se réincarnerait un jour dans le corps de deux jeunes ­femmes ­blanches.

Tout commence il y a six ans. À la mort de l’écrivain ivoirien, des hommages lui sont rendus. La comédienne Vanessa Bettane est contactée pour lire en public divers passages de son œuvre. Elle embarque Caroline ­Filipek dans cette aventure. Les réactions du public sont telles que les deux jeunes comédiennes osent caresser le désir de donner chair au texte de ­Kourouma.

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Elles partent alors en quête d’un metteur en scène. Leur seul pré­requis : il doit accepter que Brahima soit interprété par elles. Laurent Maurel est conquis par cette idée qui permet d’emblée un décalage salvateur quand on aborde un thème aussi chargé. Maurel, qui se dit « sidéré par la force de ce roman », est d’autant plus enthousiaste en découvrant que Kourouma a dédié Allah n’est pas obligé aux enfants soldats de Djibouti, pays où il a vécu au début des années 1990 lorsque des mômes y maniaient des kalachnikovs. Il y voit forcément un signe.

Une seule question subsiste. Comment mettre en scène la cruauté du parcours de Brahima ? Condamné à vivre dans les rues à la mort de sa mère, il devient soldat alors qu’il s’en va retrouver sa tante, qui a dû elle aussi se résoudre à prendre la route pour fuir les combats. Brahima est un enfant soldat, c’est-à-dire un enfant qui se drogue, pille et massacre. Comment faire résonner cette horreur sans sombrer dans le pathos ? Pour Laurent Maurel, la réponse est simple : en allant jusqu’au bout du décalage et de l’humour déjà contenus dans l’écriture incisive et gouailleuse de Kourouma.

« Seul l’humour peut créer l’air et l’espace dont le public a besoin pour que son imagination s’active », explique Maurel, qui voulait à tout prix fuir le moralisme et la culpabilité. Pari réussi puisque le jeu à la limite du clownesque des deux comédiennes prête à sourire dès lors qu’elles font irruption sur les planches pour jouer cette « farce carnassière ».

Jeux vidéo

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La scène est complètement dépouillée, à l’exception d’un écran vidéo placé au fond. Tantôt y défilent des crânes dont les orbites creuses abritent des yeux qui toisent le spectateur, tantôt s’y déroulent des cartes qui permettent de suivre l’itinéraire de ce small soldier à travers le Liberia puis la Sierra Leone. L’intrusion de cet écran est aussi une « référence aux jeux vidéo qui banalisent la violence ». Mais le spectateur oublie l’écran, toute l’attention est focalisée sur les mots et les gestes, une quasi-chorégraphie, des deux comédiennes sobrement vêtues de noir, armées de leur large sourire et dépourvues du moindre accessoire et autres kalachnikovs dont les « tralalalala » mitraillent régulièrement la salle.

Elles se glissent dans la peau de ce préadolescent et puisent dans sa candeur et son insouciance pour restituer, à la virgule près, la cruelle et petite histoire de Brahima, laquelle n’aurait pas eu lieu sans la grande Histoire qu’écrivent ceux qui ont le pouvoir de faire taire ou parler les armes.

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Allah n’est pas obligé, d’Ahmadou Kourouma, mise en scène de Laurent Maurel, au théâtre Le Lucernaire, à Paris, jusqu’au 3 janvier.

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