Jean-Louis Laborde : « Après la Chine et l’Inde, l’Afrique est le troisième relais de croissance »

À 54 ans, il pilote depuis près de quinze ans les activités du groupe sur le continent. Avec une croissance soutenue en Afrique du Nord et de bonnes performances au sud du Sahara, le groupe tente de percer en Afrique anglophone.

Publié le 29 décembre 2009 Lecture : 4 minutes.

JEUNE AFRIQUE : Pernod Ricard fête cette année le centenaire de la naissance de son fondateur. Comment passe-t-on du Ricard au whisky et à la vodka ?

Jean-Louis Laborde : Le groupe Pernod Ricard a pris un premier grand virage en 2001 lorsqu’il s’est recentré sur ses fondamentaux, les spiritueux, à la faveur de la reprise de 38 % des activités vins et spiritueux du canadien Seagram, cédées par Vivendi pour 3,2 milliards de dollars. À cette occasion, le groupe a récupéré quelques grandes marques de whisky, comme Chivas Regal et The Glenlivet, mais, surtout, il a doublé de taille et s’est imposé comme l’un des principaux opérateurs mondiaux dans les vins et les spiritueux. L’autre tournant est l’acquisition en 2005 d’Allied Domecq, en partenariat avec l’américain Fortune Brands, pour 10,7 milliards de dollars. Enfin, le rachat en juillet 2008, pour 5,6 milliards d’euros, du groupe suédois Vin & Sprit, propriétaire de la vodka Absolut, complète notre positionnement sur le haut de gamme, avec un portefeuille de quinze marques de prestige stratégiques. 

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Que représente l’Afrique pour vous et est-elle vraiment une priorité ?

Nous sommes en Afrique depuis près de ­trente-cinq ans à travers la Société d’exportation des grandes marques (SEGM), créée à l’époque pour s’occuper, entre autres, des ventes de nos marques sur le continent. Mais en 1997, en prenant une ampleur internationale, Pernod Ricard a décidé de se réorganiser en grandes filiales régionales de distribution – Europe, Asie, Amériques… –, au nombre de cinq aujourd’hui, qui adaptent localement la stratégie et le marketing de nos élaborateurs propriétaires de marques tels que Chivas Brothers à Londres, Martell, Mumm et Perrier-Jouët en France, The Absolut Company en Suède, Irish Distillers en Irlande (Jameson)…

Dans cette organisation décentralisée, l’Afrique (hors partie sud du continent) et le Moyen-Orient (hormis les Émirats arabes unis) représentent pour Pernod Ricard Europe, dont ils dépendent, environ 3 % des activités de cette filiale de distribution. Elle représente elle-même 34 % du chiffre d’affaires global du groupe. 

On entend davantage parler du numéro un mondial, Diageo, que de vous. Qui sont vos concurrents ?

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Autant dire que, en dépit d’un portefeuille de marques significatif en Afrique depuis une décennie, il nous reste beaucoup à faire face à notre principal concurrent Diageo, le leader mondial des vins et spiritueux, dont le poids historique sur le continent est beaucoup plus important. Diageo est solidement implanté grâce à la bière, qui n’est pas dans notre portefeuille. D’autres concurrents sont positionnés sur notre segment, comme Baccardi-Martini, Laurent-Perrier, Rémy Cointreau ou LVMH. Et certains opérateurs tels que Castel ou SABMiller interviennent sur une ­tranche de produits aux prix plus bas, le pastis, le whisky, les vins et la bière. 

Votre positionnement haut de gamme est-il un frein sur le continent ? Quelle est votre stratégie ?

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D’abord, nous abordons le continent pays par pays, avec une approche spécifique en fonction des marchés. Ensuite, nous distinguons deux grandes régions : l’Afrique du Nord, que nous pilotons depuis Paris, et l’Afrique subsaharienne, qui demande une plus grande proximité avec deux antennes historiques, au Gabon et en Côte d’Ivoire, puis une autre au Cameroun, que nous allons compléter en 2010 avec l’ouverture d’un bureau au Ghana. 

L’Afrique du Nord est votre premier marché ?

En Afrique du Nord, notamment au Maroc et en Égypte, nos deux marchés phares, notre développement est soutenu. Au Maroc, nous ­sommes leader grâce à nos whiskys Chivas Regal et Ballantine’s, mais aussi avec Ricard et le gin Beefeater, qui enregistrent de belles ­croissances. Selon l’International Wine & Spirit Record (IWSR), Pernod Ricard détient 36 % de parts de marché au Maroc, contre 29 % à Diageo. Nous en possédons 22 % en Égypte, contre 27 % pour le leader mondial, alors qu’en Tunisie nous avons 34 % de parts de marché, contre 55 % pour Diageo. La boisson anisée Ricard affiche aussi une hausse en volume de 15 % au Maghreb. Quant à notre vodka Absolut, elle est leader. 

À la différence de Diageo, vous n’avez pas de marques de bières. N’est-ce pas pénalisant au sud du Sahara ?

Nous souhaitons d’abord réduire l’écart avec notre principal concurrent, malgré la bonne performance de notre whisky Clan Campbell en Côte d’Ivoire et de Ricard en zone francophone. Notre portefeuille, désormais complet avec une présence dans le cognac et les champagnes, contrairement à Diageo, est un avantage certain. Dans ce contexte, et sur un continent qui fait la part belle au whisky, nous misons sur les pays anglophones en transition démocratique comme le Ghana, le Nigeria ou le Kenya avec Chivas et Ballantine’s. En Afrique du Sud et en Angola, gérés depuis notre filiale basée au Cap, Jameson, notre whiskey irlandais, réalise un parcours remarquable. Nous comptons également sur nos vins du « nouveau monde », parmi lesquels notre marque australienne Jacob’s Creek ou la néo-zélandaise Montana, et sur nos vins espagnols, comme Campo Viejo, qui s’y développent bien. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos distributeurs locaux en tenant compte des spécificités des pays pour développer une stratégie marketing adaptée. 

Comment évoluera le marché dans la prochaine décennie ?

Après la Chine et l’Inde, le continent, notamment l’Afrique subsaharienne, représente le troisième relais de croissance mondial avec un gros potentiel, sous réserve d’une amélioration de la gouvernance dans la plupart des pays. La croissance économique et la hausse de la démographie devraient contribuer à favoriser l’émergence d’une classe moyenne. Le développement de la grande distribution au Maroc, au Gabon et en Côte d’Ivoire notamment confirme cette tendance. Il faudra cependant encore compter avec la distribution traditionnelle via les marchés de gros qui alimentent un tissu de petites boutiques. Néanmoins, nous adaptons nos prix de vente d’un pays à un autre en fonction du niveau de vie de la population. Prenons rendez-vous dans cinq ans pour refaire un point. 

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