Un scrutin en cache un autre

Plus personne n’en doute : Blaise Compaoré sera candidat à sa propre succession en 2010. Et face à une opposition affaiblie et divisée, il devrait l’emporter. Le suspense, en revanche, perdure pour 2015. En théorie, le chef de l’État ne pourra se présenter. À moins que…

Publié le 31 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

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Burkina : 2010, l’année de tous les enjeux

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« Même si ton adversaire est une souris, tu dois te préparer à combattre un lion. » Au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), on reprend souvent le mot d’ordre du « patron », Blaise Compaoré. À un an de la prochaine échéance électorale, la présidentielle de décembre 2010, les troupes sont déjà en ordre de bataille. Si le suspense n’est pas haletant – le président devrait se représenter et, vraisemblablement, l’emporter –, la polémique enfle : ce mandat sera-t-il le dernier ?

Au pouvoir depuis vingt-deux ans, Blaise Compaoré est encore un jeune chef d’État. Lors du prochain scrutin, il n’aura pas 60 ans. « Nous sommes arrivés au pouvoir très tôt, et l’on voudrait que nous prenions notre retraite à l’âge où, dans le reste du monde, on vise les plus hauts postes politiques », remarque Arsène Bongnessan Yé, membre du bureau politique, ex-président de l’Assemblée nationale et ancien « compagnon de la révolution ».

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Selon la Constitution, s’il est élu, le mandat qu’il commencera en 2010 sera pourtant le dernier pour Blaise Compaoré. À moins que, d’ici là, une réforme vienne modifier les règles du jeu. Pendant un temps, la rumeur a couru, à Ouagadougou, d’une succession familiale, en la personne du frère cadet du chef de l’État, François Compaoré. Cette éventualité est aujourd’hui écartée, en tout cas parmi les cadres influents du CDP. Moins charismatique que son aîné, mêlé à plusieurs affaires qui ont, ces dernières années, défrayé la chronique, le « conseiller » à la présidence ne semble plus être une option. Pour le moment.

Le président, lui, se mure dans un parfait silence et, comme souvent, ne laisse rien paraître de ses intentions. Ses partisans, en revanche, ne font guère mystère de leur projet : faire sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats.

Le sujet n’est pas tabou. Le CDP a déjà mis en place une commission chargée de la réforme constitutionnelle. L’habillage officiel réside dans une nouvelle répartition des pouvoirs, qui donnerait un peu plus de poids au Parlement et de responsabilités au Premier ministre. Mais, en filigrane, il s’agit surtout de reprendre l’article 37, qui, depuis 2000, fixe à deux le nombre de mandats présidentiels – devenus, par la même occasion, des quinquennats.

« Dans d’autres pays, reconnus comme des démocraties, le nombre de mandats n’est pas limité. Pourquoi dans notre pays ce ne serait pas démocratique ? » s’insurge Roch Marc Christian Kaboré, président du CDP et de l’Assemblée nationale. Et gare à celui qui voudrait comparer la situation du Burkina à celle du Niger ! L’imposant « RMC » ne plaisante pas avec les approximations. « Notre Constitution a prévu les modalités de sa révision. Par référendum ou par un vote des trois quarts des députés. Donc, comme les autres articles, l’article 37 peut être modifié. Le cas du Niger n’est absolument pas le même. »

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Réviser la constitution ?

Même si la procédure de révision est légale, elle ne manque pas de faire grincer des dents. « Nous en avons assez des tripatouillages », s’indigne Chrysogone Zougmoré, président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP). Cette association avait été à l’avant-garde du collectif d’ONG qui s’était mobilisé en 1998 pour demander la vérité sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. À l’époque, le collectif avait réussi à rassembler des dizaines de milliers de personnes autour du thème de la lutte contre l’impunité. Face à la fronde qui dépassait alors le cadre de l’affaire Zongo, le pouvoir avait accepté les recommandations d’un comité des sages préconisant la limitation du mandat présidentiel. « Cela avait contribué à ramener le calme. Si le pouvoir devait revenir là-dessus, il ferait face une nouvelle fois à la colère populaire », conclut Chrysogone Zougmoré. « L’histoire de ce pays ne peut pas se limiter à l’affaire Zongo. Nous avons tous déploré sa mort. Mais la question fondamentale n’est pas de limiter ou non les mandats, c’est d’assurer la transparence des scrutins », estime Roch Marc Christian Kaboré.

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Le vrai défi consiste à instaurer une vie démocratique plus dynamique. Dans un pays qui compte plus d’une centaine de partis, l’opposition ne ­parvient toujours pas à faire concurrence à l’hégémonique CDP. Quelques-uns des ténors de cette opposition ont choisi de soutenir, à un moment ou à un autre, la candidature du chef de l’État. D’autres ont accepté des postes ministériels. Et le reste n’arrive pas à mobiliser.

L’opposition décomposée

« Que voulez-vous… Quand Ki-Zerbo est mort, son parti s’est scindé en quatre, il y a pas moins de huit mouvances sankaristes. Et il faut arrêter de dire que c’est le président qui les divise, ils font cela très bien tout seuls », s’amuse un proche du chef de l’État.

Dernière innovation : le poste de « chef de file de l’opposition », attribué au président du parti qui a le plus de députés, à l’exclusion des partis qui ont soutenu le chef de l’État. Il est donc revenu à Bénéwendé Sankara, de l’Union pour la renaissance/Parti sankariste (Unir/PS), qui a 5 députés sur les 11 que compte l’opposition (face à 100 élus CDP…).

Pour Halidou Ouédraogo, avocat et ancien président du MBDHP, ce titre est un nouvel « attrape-nigaud ». Le chef de file de l’opposition a en effet un rang protocolaire et quelques avantages, mais cela ne veut pas dire qu’il exerce la moindre influence sur les autres leaders de l’opposition. Quant à Chrysogone Zougmoré, il estime que « l’apparat émousse la combativité ».

Bénéwendé Sankara est pourtant prêt à lutter contre toute tentative de modification de la Constitution. Même s’il s’agit d’offrir davantage de pouvoir au Parlement. « Aller à un régime parlementaire suppose un niveau acceptable de démocratie, chose que le Burkina n’a pas. Ensuite, aller à ces réformes avec Blaise Compaoré serait un échec. C’est lui l’obstacle à la démocratie », déclarait il y a peu le chef de l’Unir/PS au quotidien burkinabè Le Pays. « Aujourd’hui, vouloir modifier encore l’article 37, c’est prendre le peuple burkinabè pour un peuple d’ignares. C’est une insulte. […] S’ils passent à l’action, c’est la rue », menace l’opposant.

Quant aux critiques qui pourraient émaner de la communauté internationale, les caciques du CDP n’en ont cure. « Nous sommes jaloux de notre stabilité. Tant pis si ça déplaît aux Occidentaux », lâche Arsène Bongnessan Yé. « Tous les critères démocratiques sont réunis dans ce pays. Des élections régulières, la liberté de presse, une opposition libre… Nous avons fait des progrès notables, estime Roch Marc Christian Kaboré. Maintenant, c’est à l’opposition de se battre. Et cela, on ne peut pas le faire pour elle. »

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