Turquie : opération boomerang

Le plan lancé, sans grande conviction, par le gouvernement pour tenter d’apaiser la « question kurde » menace d’aboutir à l’effet inverse.

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Publié le 22 décembre 2009 Lecture : 3 minutes.

L’Initiative pour la paix tourne au cauchemar. Annoncé par le gouvernement AKP en août, puis présenté en catimini et à peine débattu au Parlement à la mi-novembre, le « plan kurde » était censé accorder des droits à cette minorité de 15 millions de personnes et amener les séparatistes du PKK à déposer les armes après vingt-cinq ans de conflit (plus de 40 000 morts, dont 35 000 Kurdes, entre 1984 et 1999 et, aujourd’hui encore, des combats sporadiques).

C’est raté. D’abord, parce qu’aux yeux des intéressés le contenu de ce plan est très insuffisant. Comment pouvait-il en être autrement ? Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, s’était décidé à agir sous la pression de Barack Obama, soucieux d’apaiser la question kurde en Turquie et en Irak pour stabiliser la région. Mais son gouvernement s’est attaqué à ce dossier ultrasensible à reculons, sachant que sa seule évocation suffit à provoquer d’inquiétantes bouffées de nationalisme.

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Pour l’armée et le camp laïc dans son ensemble, ce plan émanait des « islamistes » (l’AKP) et était destiné aux « séparatistes » (les Kurdes). Il fallait donc le détruire. Mission accomplie. Le 11 décembre, accélérant une procédure qui traînait depuis deux ans et prenant le gouvernement à revers, la Cour constitutionnelle a prononcé l’interdiction du Parti pour une société démocratique (DTP, prokurde), quatrième formation politique du pays, qui comptait 21 députés et avait recueilli 2,2 millions de voix lors des municipales du mois de mars. En même temps, elle a banni de la vie politique trente-sept de ses dirigeants, dont deux députés, provoquant la démission collective de leurs collègues.

« Activités nuisibles »

Selon un scénario bien rodé, la Cour s’est appuyée sur la Constitution, œuvre des auteurs du coup d’État ­militaire de 1980, et sur la loi sur les partis politiques, dont les démocrates turcs et l’Union européenne (UE) s’escriment à demander l’abrogation. C’est la neuvième fois qu’un parti kurde est fermé ou dissous, à l’instar de plusieurs partis islamistes. L’AKP lui-même a failli être interdit pour « activités anti­laïques », en 2008.

Accusé de mener des « activités nuisibles à l’unité indivisible de l’État » de concert avec le PKK, le DTP s’est défendu de toute collusion et a rappelé qu’il se comporte de manière exemplaire au Parlement. Mais ce parti de gauche, partisan de l’adoption d’une Constitution démocratique et de l’adhésion à l’UE, n’a pas vraiment réussi à élargir sa base életorale au-delà des Kurdes. Surtout, il a donné prise à ses accusateurs en refusant de qualifier le PKK d’organisation terroriste et en appelant à l’associer au règlement de la question kurde.

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Au-delà des péripéties juridiques (le DTP se reconstitue en Parti pour la paix et la démocratie, BDP, et va porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme), la rapidité avec laquelle le plan kurde s’est retourné contre ses auteurs n’augure pas des jours faciles.

Alors que huit projets de coups d’État militaires contre l’AKP ont été éventés, l’interdiction du DTP exacerbe les tensions intercommunautaires. Pas un jour ne passe sans que les Kurdes manifestent leur colère, dans l’Est et le Sud-Est anatolien (où vivent la majorité d’entre eux), à Istanbul (où une étudiante a été tuée) et dans plusieurs grandes villes. Face à eux, des ultranationalistes turcs brandissent des armes à feu (comme à Diyarbakir : un étudiant tué, le 14 décembre, et à Bulanik : 2 morts et 7 blessés, le 15) et leur parti, le MHP, entame une série de meetings alors qu’aucune échéance électorale n’est en vue. Conscient du risque d’engrenage, Erdogan a appelé « son peuple » à ne pas « tomber dans le piège de la provocation » et se dit déterminé à poursuivre le processus de démocratisation en 2010, avec le soutien de l’UE. Les prochaines semaines seront cruciales.

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