J Street vol au-dessus d’un nid de colombes

Jeunes et enthousiastes, les membres du lobby juif libéral jouent à fond la carte d’Internet et rêvent de contester la suprématie des faucons de l’Aipac. Favorables à la création d’un État palestinien, ils s’efforcent d’influencer la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.

Publié le 24 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

À J Street, on mise sur la jeunesse. La plupart des cadres sont presque en culottes courtes. Isaac Luria, le directeur de campagne, a 26 ans, et Amy Spitalnick, la directrice associée pour les relations avec la presse, trois de moins. L’un et l’autre ont été dénichés par le directeur exécutif, Jeremy Ben Ami, 47 ans, un professionnel de la politique disposant de nombreux relais dans la communauté juive américaine. « La moyenne d’âge de la direction est d’environ 32 ans », précise Spitalnick. Le pari est audacieux. Ben Ami sait qu’il faudra du temps pour que les colombes de J Street constituent une menace sérieuse pour les faucons de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le lobby de la droite juive, qui, depuis quarante ans, joue un rôle prépondérant dans la définition de la diplomatie américaine au Proche-Orient.

Aider les Américains à imposer leur leadership et à instaurer la paix dans la région, mettre en application la solution des deux États, arrêter la colonisation, mais aussi assurer la sécurité des États-Unis et d’Israël… Le programme de J Street rencontre un franc succès chez les jeunes juifs américains. Majoritairement pacifiste, cette génération née au lendemain de la guerre de 1967 est lasse de voir Israël porter le costume de la puissance militaire occupante. Et inquiète pour son avenir. « Les études démographiques montrent que si la solution des deux États n’est pas appliquée dans les vingt prochaines années, Israël va se retrouver face à un dilemme : devenir un État démocratique binational ou un État exclusivement juif. Ni l’une ni l’autre de ces solutions n’étant souhaitable, nous devons agir maintenant », estime Amy Spitalnick.

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Le groupe de pression est en réalité une famille. Il y a J Street proprement dit, une organisation politique à but non lucratif, mais aussi J Street PAC, un comité indépendant dont le rôle est de financer les candidats poli­tiques acquis à sa cause, et, depuis le mois de mai, J Street U, réservé aux étudiants. « Nous sommes implantés sur quarante campus universitaires à travers le pays, indique Amy Spitalnick. L’objectif est d’inciter les jeunes à débattre librement de la question israélo-palestinienne, alors que, pendant trop longtemps, ceux qui osaient critiquer Israël étaient accusés d’antisémitisme. »

Pour rassembler, J Street mise sur son principal atout : Internet. Les adhésions et les dons se font online. Par mail ou via Twitter et Facebook, la direction est en contact permanent avec les 115 000 adhérents. Prises de position sur l’actualité, demandes de participation financière, annonces d’événements… Des milliers de messages sont ainsi échangés chaque jour.

Trois millions de dollars

La politique de financement de J Street s’inspire des recettes de la campagne présidentielle de Barack Obama : petits dons online d’un côté, donations des grandes fortunes de l’autre. L’organisation peut compter sur la générosité de certaines personnalités juives parmi les plus riches des États-Unis, comme George Soros. « Notre budget est de 3 millions de dollars cette année. Il a doublé en un an. En ces temps de récession, peu d’organisations peuvent en dire autant », commente Spitalnick.

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La stratégie a néanmoins ses ­limites. « Pour réussir à faire contrepoids à l’Aipac, J Street devra disposer d’une base militante plus large. Pour faire élire des candidats au Congrès, il lui faudra bénéficier de contributions financières beaucoup plus ­importantes », explique l’universitaire Jonathan Sarna. À titre de comparaison, le budget de l’Aipac avoisine 100 millions de dollars.

Pour tenter de pallier ses ­carences, J Street a organisé, du 26 au 28 ­octobre à Washington, sa première conférence, qui a rassemblé quelque 1 500 ­personnes, parmi lesquelles des membres du Congrès et de la ­Knesset, mais aussi des représentants de ­diverses associations juives de gauche, telles Ameinu et Meretz USA. L’une de ces dernières, Brit Tzedek v’Shalom, qui compte environ 50 000 adhérents et 1 000 rabbins, en a profité pour officialiser sa fusion avec J Street. Lors de la conférence, des messages d’encouragement ont été envoyés par le président israélien Shimon Pérès et par Tzipi Livni, la présidente du parti Kadima. La présence du général James Jones, conseiller pour la ­politique intérieure du président Obama, a été autant remarquée que l’absence de Michael Oren, l’ambassadeur d’Israël.

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Indiscutablement, J Street peine à se défaire de l’étiquette anti-israélienne que lui ont collée les faucons. Depuis qu’il a jugé « disproportionnée » et « contre-productive » l’action de l’armée israélienne pendant la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009), il est l’objet de campagnes nettement diffamatoires. « Accuser J Street d’être anti-israélien me paraît un peu exagéré, reconnaît Jess Hordes, directeur de l’Anti-Defamation League, une association juive de droite très influente. Mais il y a parmi ses supporteurs des gens qui ne sont pas à l’aise avec le sionisme, qui critiquent les sanctions contre l’Iran et qui n’ont pas défendu avec beaucoup d’ardeur l’intervention de Tsahal à Gaza. Ces gens-là ne sont pas représentatifs du sentiment juif. »

Glissement vers le centre

Face à ces tentatives d’intimidation, J Street a récemment mis de l’eau dans son vin. Il a par exemple attendu six jours avant de réagir à l’adoption par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 16 octobre, du rapport Goldstone, qui dénonce les crimes de guerre commis par Israël à Gaza. « Sachant par expérience que cet organe n’est pas un ami d’Israël, nous avons conseillé au gouvernement israélien de lancer sa propre commission d’enquête indépendante », commente Amy Spitalnick.

Ce glissement vers le centre n’a échappé à personne. « J Street est tiraillé entre les radicaux et les centristes. La question est de savoir si les uns et les autres vont pouvoir continuer de cohabiter. Car il va de soi que la droite va concentrer ses attaques sur les radicaux dans l’espoir de décrédibiliser l’organisation tout entière », analyse Jonathan Sarna. Directeur exécutif de Meretz USA, Ron Skolnik se montre moins pessimiste. « Il est normal, dit-il, de se repositionner pour trouver le ton juste dès lors que l’on entend toucher le plus grand nombre. Mais, à mon sens, le message n’a, pour l’essentiel, pas changé. »

L’impuissance de la diplomatie américaine à convaincre le gouvernement israélien de geler la colonisation n’aide évidemment pas J Street. Obama aurait-il capitulé devant l’Aipac ? « Nous ne sommes pas au courant de tout ce qui se dit à la Maison Blanche, mais je ne le pense pas, estime Amy Spitalnick. Après un long statu quo, il est normal que les négociations prennent du temps. Cette administration est en place depuis moins d’un an. Or elle a déjà accompli beaucoup plus que la précédente en huit ans. L’arrêt total de la colonisation doit rester la prio­rité. Il faut que l’administration Obama ne renonce pas à convaincre Israël que c’est dans son intérêt futur. » 

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