Monde arabe : les défis de la transition démographique

D’ici à 2050, la part de la population active au Moyen-Orient et en Afrique du Nord va connaître une forte poussée, tandis que celle des personnes âgées va tripler, voire quadrupler.

Dans le quartier el-Nasr, à Tunis © Ons Abid pour J.A

Dans le quartier el-Nasr, à Tunis © Ons Abid pour J.A

Publié le 1 janvier 2010 Lecture : 4 minutes.

La population des dix-neuf pays du Maghreb et du Moyen-Orient a presque triplé au cours des quarante dernières années (1970-2010) pour passer de 112 à 313 millions d’habitants (+ 180 %). Mais, au cours des quarante ­prochaines années (2010-2050), elle va seulement augmenter de 62 %, soit trois fois moins vite. Ce simple constat signifie que la transition démographique est en marche dans l’une des régions les plus complexes du monde sur les plans politique, culturel, religieux, sécuritaire… et énergétique. Cette région, même si elle n’est pas homogène, abritera 6 % seulement de la population mondiale en 2050, contre 5 % actuellement et 3 % en 1970. Aujourd’hui, dans un monde qui a soif d’énergie, elle ­contrôle, selon la compagnie British Petroleum, respectivement 55 % et 30 % des réserves mondiales de pétrole brut et de gaz naturel.

Le démographe libanais François Farah, directeur au Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), a consacré une bonne partie de sa vie professionnelle à étudier les ­dynamiques de la population de la région. Au cours de la conférence internationale qui a eu lieu à Marrakech du 27 septembre au 2 octobre, il a présenté une étude inédite sur le « malaise » ou le « stress » en matière de santé et de population. Il a disséqué les problèmes qui se posent au niveau de la santé reproductive (prénatale et postnatale), de la mortalité et de la fécondité. « La démographie ne se résume pas à un ­chiffre, explique-t-il. C’est un processus socio-économique résultant des politiques de santé, de planning familial et de développement. C’est le fruit d’un modèle de société préalable. »

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Disparités régionales

Un enfant de plus, cela représente un investissement. Son avenir doit être pris en compte en termes de santé infantile et juvénile, d’éducation, de logement et de travail. C’est ce qui a fait défaut dans la plupart des pays étudiés. « Le monde arabe a plus que jamais besoin d’experts en population, d’études et de recherches pour éclairer les autorités politiques. La population va vieillir plus vite que par le passé. La famille va se résumer aux parents, avec un ou deux enfants, sans les grands-parents. Les femmes vont se marier le plus tard possible, et revendiquer une place plus grande dans la vie active… » Tous ces facteurs, que le monde occidental a connus au cours des Trente Glorieuses (1945-1975), marquées par une baisse de la fécondité et une hausse continue du niveau de vie, la vaste région qui s’étend du Maghreb (Maroc) au Machrek (golfe Arabo-Persique) va devoir les gérer pendant les trente prochaines années. Mais les situations sont tellement spécifiques qu’il sera impossible de décider d’une stratégie commune.

En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le PIB annuel de l’Arabie saoudite s’élève à 380 milliards de dollars, quand celui de la Mauritanie, par exemple, n’est à peine que de 3 milliards de dollars. L’écart est également immense entre le Qatari, qui jongle avec un PIB par tête de 76 000 dollars, et le Palestinien, qui ne dispose que de 1 000 dollars par an pour survivre. Le « monde arabe » n’existe que sur le papier ou dans les discours.

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La diversité économique et financière se décalque sur les agrégats démogra­phiques. Plus on est aisé, moins on fait d’enfants. Avec quatre ou cinq enfants en moyenne par femme en Mauritanie, en Irak et en Palestine, on est loin des deux enfants en Tunisie, au Liban et en Israël.

Les années 1970-2010 ont été ainsi marquées par de fortes poussées démographiques aux Émirats arabes unis et au Qatar en raison de la présence massive de main-­d’œuvre étrangère. Celle-ci représente aujourd’hui 35 % de la population dans les pays du Golfe et occupe 70 % de l’emploi. Cette immigration d’origine asiatique (surtout philippine) va se stabiliser en volume d’ici à 2050, mais pas en termes d’intégration (les accès à la nationalité et à la résidence permanente étant interdits). La population résidente va donc progresser normalement dans les pays du Golfe : + 2 % par an aux EAU et + 1,3 % au Qatar.

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La fécondité va également retrouver des taux proches de ceux des pays occidentaux, avec deux enfants au maximum par femme dans quatorze pays. Seuls quatre pays auront un indice supérieur (Irak, Palestine, ­Mauritanie, Yémen).

Finie la solidarité familiale

Conséquence inéluctable de cette mutation : en 2050, la part des ­jeunes de moins de 20 ans va tomber à 20 % ou 25 % de la population totale, contre 35 % à 50 % en 2010. Et celle des personnes âgées (70 ans et plus) va tripler ou quadrupler : elle passera de 3 % à 11 % en Algérie et au Maroc, de 4 % à 14 % en Tunisie et de 7 % à 15 % en Israël. Cette progression sera plus forte à Bahreïn (de 1,4 % à 12,8 %), en Arabie saoudite (de 1,8 % à 9,2 %) et au Koweït (de 1,2 % à 14 %).

Entre les plus jeunes et les plus âgés, il y a la population active (de 20 à 65 ans). Les décideurs politiques ne sont pas tous conscients des dangers qui les guettent : les jeunes demandeurs d’emploi se compteront par millions dans les années à venir. Au total, sur quarante ans, l’Irak devra trouver un emploi à 16 millions de jeunes adultes, le Yémen à 14 millions, l’Algérie à 13, le Maroc à 12, l’Arabie saoudite à 11, la Syrie à 10. Où trouver ces emplois ? Comment financer la formation et les investissements nécessaires ?

À ces questions lancinantes s’ajouteront celles qui concerneront la façon de prendre en charge les hommes et les femmes de 70 à 100 ans et plus. Aujourd’hui, leurs familles respectives s’occupent d’eux ; les maisons de retraite ne sont pas encore en odeur de sainteté dans ces pays. Quant aux soins médicaux dans les cliniques et hôpitaux, ils sont rarement ou très partiellement couverts par les caisses d’assurance maladie. Actuellement, la situation est gérable, car leur nombre ne pèse par lourd : à peine 8 millions dans les dix-neuf pays. Mais elle revêtira une autre dimension en 2050 quand ils seront 43 millions !

La solidarité familiale, avec les contraintes de la vie moderne (noyau familial restreint, appartements moins spacieux, loisirs), ne pourra plus jouer à plein comme c’est le cas aujourd’hui et dans un futur proche. Mais, après 2020, quelles réponses la société – et les gouvernements – apporteront-ils à l’allongement de l’espérance de vie au-delà de 80 ans ?

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