Le processus électoral grippé
À peine un nouveau report a-t-il été décidé que des inquiétudes pèsent sur les délais. Visite au cœur de la préparation de la présidentielle à Abidjan.
« On y croit encore… Il faut bien ! » Dans son austère bureau perché au 11e et dernier étage de l’immeuble Les Acacias, au cœur du quartier administratif du Plateau, à Abidjan, Paul * ne veut pas désespérer. Les élections finiront bien par avoir lieu, dit-il. Au sein de la commission électorale régionale (CER) des Lagunes, la plus importante du pays avec près d’un tiers des électeurs, il est bien le seul à ne pas avoir perdu la foi. « Tout est fait pour que ces élections n’aient jamais lieu », dénonce Michel, un responsable de la CER. « La plupart d’entre nous ont lâché leur emploi pour mener à bien cette tâche. Mais on ne voit rien venir. Les commissaires perdent espoir : ils sont de moins en moins nombreux à effectuer leur mission. »
Trois étages plus bas, au 8e, les membres de la commission électorale locale (CEL) se comptent sur les doigts d’une main. « Normalement, nous devrions être vingt-deux, mais certains ne viennent plus depuis longtemps », indique Robert. La plupart ont repris le chemin de leur travail « habituel ». « Non seulement nous n’avons pas été payés pour la session débutée en juin, mais en plus la CEI [Commission électorale indépendante, NDLR] doit encore nous verser les deux sessions précédentes », l’équivalent selon lui de six mois d’arriérés.
Retard de paiement
Dans ce contexte, la grève n’est plus un tabou. « S’il y a un appel, on le suivra. Mais on ne veut pas être accusés d’être les responsables d’un nouveau report de l’élection », dit Robert. À Cocody, ces considérations ont fait long feu : le 11 décembre, plusieurs bureaux ont été fermés par des commissaires mécontents. La CEI tente de rassurer et affirme que les paiements seront débloqués grâce à un accord avec le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) qui pourrait pallier les carences de l’État.
Depuis le report de l’élection présidentielle, qui devait se tenir le 29 novembre, la CEI est sous le feu des critiques. Son président, Robert Beugré Mambé, est tenu pour responsable des reports. « C’est un travail très rigoureux qui doit se faire dans la plus stricte transparence », se défend-il.
Greffiers en grève
Après avoir recensé 6,3 millions de personnes susceptibles de pouvoir voter, la CEI en a retenu 5,3 millions. Il reste un million de cas litigieux. Depuis fin novembre, la CEI est donc entrée dans la phase de contentieux, qui doit durer un mois. Le 14 décembre, 250 000 dossiers avaient été traités, selon le président. Mais, à en croire les membres de la CEL du Plateau, « à ce rythme on n’aura jamais fini à temps ». Outre l’absentéisme des commissaires, des dysfonctionnements ralentiraient le processus. « Et puis, il y a la grève des greffiers… », rappelle Robert.
Depuis le 30 novembre, la grande majorité des greffiers du pays ont arrêté le travail. Ils revendiquent l’application d’un décret définissant leur nouveau statut – qui leur octroie une rémunération plus élevée et une meilleure protection. Problème : ce sont eux qui fournissent les actes de naissance, nécessaires pour apporter la preuve de sa nationalité. Laurent Gbagbo a menacé le 14 décembre de mettre à pied les grévistes et de recruter des remplaçants. Finalement, la grève a été suspendue. Pour le moment, l’élection est toujours prévue entre la fin de février et le début de mars.
* Les prénoms des commissaires ont été changés à leur demande.
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