Et la grâce sauva Taïgue Ahmed
Dans son nouveau solo, le Tchadien raconte comment la danse permet aux victimes de guerre de recouvrer l’estime de soi.
Il est des représentations qui ont parfois un goût de défi. Comment raconter en un spectacle trente-deux années de chaos et de combat, d’espoir et de persévérance ? Comment, en soixante petites minutes, dire que vous êtes né dans le sud du Tchad, à Laï ; qu’à l’aube de vos 5 ans votre mère vous déguisa en fillette pour tromper les militaires d’Hissène Habré qui, à la recherche d’un chef de guerre ennemi, tuèrent tous les hommes du village ? Et qu’à 22 ans vous avez été enrôlé de force par ces mêmes militaires, avant de parvenir à vous enfuir ?
Le 18 décembre prochain, les professionnels et programmateurs français découvriront l’incroyable vie du chorégraphe et danseur Taïgue Ahmed. Possesseur d’un visa pour la création octroyé par CulturesFrance, le Tchadien présentera son solo Crache mon histoire, conçu lors de sa résidence au Centre national de la danse, à Pantin, en région parisienne. Une pièce qui lui tient particulièrement à cœur. « La danse m’a sauvé. Elle m’a permis de m’exprimer et d’éviter la vengeance », explique Taïgue. Une expérience qu’il tient à partager, notamment avec les réfugiés centrafricains des camps d’Amboko, de Gondjé et de Dosseye, près de Goré, dans le sud du pays. « Au Tchad, la guerre est tellement présente qu’elle est devenue spectacle. Un jeu pour les enfants, dont nombre d’entre eux s’enrôlent ou sont enrôlés de force. Ils n’ont pas d’autre avenir que le combat. La danse peut leur servir d’exutoire et leur permettre de raconter ce qu’ils ont vécu. »
"Dans la peau d’une femme"
Formé à la danse traditionnelle, dès l’âge de 13 ans, par l’un des chorégraphes du Ballet national tchadien, Taïgue a découvert la danse contemporaine au cours d’ateliers animés à N’Djamena en 2003 par Julie Dossavi. Après avoir tourné en France dans la pièce Être dans la peau d’une femme, de la chorégraphe française, il revient au Tchad et propose au HCR d’organiser des stages dans les camps proches de Goré. Plus de 300 réfugiés s’inscrivent. En 2006, trois mois durant, il fait de la prévention (hygiène, santé). « La danse a quelque chose de magique. Grâce à elle, on se fait écouter. Peu à peu, les participants ont compris que pour danser il fallait être en bonne santé. Beaucoup ont arrêté de boire et commencé à prendre soin d’eux, de leur corps et de leur image. Et ont regagné une estime de soi mise à mal par la guerre. »
L’année suivante, en octobre 2007, Taïgue crée une biennale, « Ndam Se Na » (« dansons ensemble », en ngambai), qui permet aux réfugiés et aux Tchadiens qu’il forme de rencontrer des professionnels. Une démarche qui paie. En 2010, trois d’entre eux suivront une formation à l’École des sables, dirigée par Germaine Acogny, près de Dakar. Et quelques danseurs des trois camps de Goré ont créé une compagnie, Ndamsina, qui tourne au Tchad.
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