Imperturbable Ousmane Sow

Pour construire son musée des grands hommes, le sculpteur mettait aux enchères dix œuvres originales. Seules deux ont trouvé preneur le 8 décembre chez Christie’s. Un contretemps qui ne remet pas en question son projet.

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Publié le 16 décembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Ce n’est que partie remise. Pour la première fois depuis la grande exposition sur le pont des Arts (Paris) qui l’a fait connaître du grand public, il y a dix ans, le sculpteur sénégalais Ousmane Sow mettait en vente, le 8 décembre dernier, une série de dix œuvres originales. Exposés dans les locaux exigus de la maison de ventes aux enchères Christie’s, ses lutteurs et guerriers monumentaux ne semblaient guère à leur place, bataillant sous un escalier ou postés à l’entrée d’un ascenseur. Et, bien qu’Ousmane Sow soit l’un des artistes les plus connus du continent, les résultats de la vente n’ont pas été à la hauteur des espérances. Sur les dix œuvres, seules deux ont trouvé preneur. Le Guerrier debout a été vendu 100 000 euros, tandis que le Couple de lutteurs aux bâtons partait pour 60 000 euros. Les autres n’ont pas atteint leur prix de réserve et demeurent la propriété de leur créateur.

Face à l’indifférence manifestée ce jour-là par le marché de l’art, Ousmane Sow pourrait afficher sa déception. Mais, comme toujours, il se montre philosophe et entend bien poursuivre le chemin qu’il s’est tracé. « Pour moi, cette vente était une expérience nouvelle, dans un monde qui n’est pas celui au sein duquel j’évolue. Comme je suis un homme assez curieux, j’avais envie de voir comment ça allait se passer… Aujourd’hui, tout n’est pas dit. Certaines personnes ne savaient pas que je vendais des originaux et elles vont se manifester… »

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Les institutions et les collectionneurs africains vont-ils (enfin) se signaler pour que le travail de Sow soit exposé sur son continent d’origine ? Ce n’est pas certain : dans la salle de ventes de Christie’s, ils brillaient par leur absence. « Je ne m’attendais pas à vendre à des Africains, confie le sculpteur. Sur ce sujet, je suis très lucide. Ceux qui aiment vraiment l’art n’ont souvent pas les moyens de se l’offrir. Quant aux nouveaux riches, devenus millionnaires du jour au lendemain, ils comparent. Ils se disent que pour le prix d’une œuvre, ils pourraient presque s’acheter une villa ou faire agrandir leur piscine… »

Si le Sénégalais a brusquement décidé de céder ses sculptures les plus célèbres, c’est parce qu’il souhaitait mobiliser une forte somme d’argent pour construire le musée des grands hommes qu’il a en tête. Il possède déjà le terrain où il veut le bâtir, et la maquette de l’édifice, réalisée par un menuisier à partir de ses indications, est fin prête. Quant aux idées pour l’animer, elles ne manquent pas. Outre exposer ses œuvres représentant Nelson Mandela, Charles de Gaulle, Rosa Parks ou Moctar, son père, Sow compte inviter des artistes et créer des passerelles avec d’autres disciplines comme l’architecture, la musique, mais aussi la cuisine ou la médecine traditionnelle. L’échec relatif de la vente du 8 décembre ne représente qu’un contretemps dans la maturation de ce projet. « Il y a une “bonne volonté” qui a émis le souhait de me donner un coup de main, et les pièces qui restent vont être vendues, je n’en doute pas », affirme Sow. En outre, ses bronzes, petits et grands, se vendent bien.

Régulièrement, le sculpteur se rend en région parisienne, à la Fonderie de Coubertin (Saint-Rémy-lès-Chevreuse), pour superviser – avec cette douceur qui le caractérise – le travail de dizaines d’artisans qui ont la difficile tâche de traduire avec du métal le rendu et la texture de la « matière » si particulière de ses Noubas ou de ses Massaïs. C’est là qu’Ousmane Sow est chez lui, entouré par les fantômes d’Antoine Bourdelle et d’Auguste Rodin (lequel eut beaucoup de mal, rappelons-le, à faire accepter son Balzac…), dans la poussière du plâtre réfractaire, dans l’odeur de la cire chaude, dans la chaleur du métal en fusion coulant dans le moule, au côté d’un magicien de la patine, qui colore le bronze en brûlant des oxydes à l’aide d’un chalumeau. Tout comme il est chez lui au Sénégal quand il manipule sa mystérieuse substance pour lui donner une forme humaine toute de puissance retenue.

Sculptures animées

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Demain, malgré cette éphémère déconvenue, le musée d’Ousmane Sow se fera. La clôture du terrain devrait d’ailleurs être construite au début de l’année 2010… « Je voudrais voir ce projet réalisé avant de partir », déclare-t-il. Avant d’ajouter : « Comme je le dis souvent, il faut faire comme si on avait mille ans à vivre et être conscient qu’on peut mourir d’un instant à l’autre. » Imperturbable, il continue de travailler. Sur un projet de sculptures animées qui devrait donner naissance à un film composé « d’histoires de la vie courante assez farfelues ». Et, bientôt, de nouveau, sur ses sculptures de grands hommes. Au programme, Cassius Clay, Gandhi, Martin Luther King, mais aussi l’héroïne de la résistance en Casamance, Aline Sitoé Diatta. Ousmane Sow sait que le temps joue avec lui.

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